Face à un danger, on peut soit fuir, soit combattre. Réactions classiques auxquelles s’ajoute une troisième voie, moins connue, souvent incomprise : le figement. Ce mécanisme, profondément enraciné dans notre système nerveux, est une stratégie de survie face à une menace perçue comme insurmontable. Loin d’être un signe de faiblesse ou d’indifférence, ce comportement est une réponse automatique et protectrice, souvent liée à un vécu traumatique. Le syndrome de l’opossum en est une illustration extrême. Explications.
Le figement : une réaction biologique de survie
Syndrome de l’opossum ? Mais encore ? Dans le règne animal, certains animaux comme l’opossum adoptent un comportement très particulier lorsqu’ils sont en danger : ils se figent complètement, au point de paraître morts. Cette stratégie permet parfois d’échapper à un prédateur en désamorçant l’attaque.
Il se trouve que l’opossum n’a pas le monopole de cette technique. L’humain y a aussi recours. Face à un stress aigu ou à un trauma, il peut arriver que la personne « dissocie » ou entre dans un état d’inhibition extrême : incapacité à bouger, parler, réfléchir, voire ressentir ses émotions.
Exemple type : Claire, 35 ans, travaille dans une entreprise depuis plusieurs années. Un nouveau supérieur hiérarchique arrive, très autoritaire, humiliant, parfois menaçant. Au début, Claire tente de se défendre verbalement, puis elle essaye d’éviter les conflits. Mais face à la répétition des agressions psychologiques, elle entre dans un état de figement :
- Elle cesse de réagir lors des altercations : elle ne répond plus, garde un visage impassible, ne bouge presque pas.
- Elle ressent une anesthésie émotionnelle, « comme si je n’étais plus là, je me regardais de l’extérieur. »
- À la maison, elle est épuisée, dort mal, souffre de troubles de la mémoire et de la concentration.
- Elle a du mal à expliquer ce qui se passe à son entourage, car elle-même ne comprend pas pourquoi elle n’agit pas, ne parle pas, ne fuit pas.
- Lorsqu’on lui propose d’en parler à la direction ou de porter plainte, elle se fige à nouveau, devient confuse, incapable de prendre une décision.
Ce comportement peut être incompris par les autres (« pourquoi elle ne dit rien ? », « elle n’a qu’à démissionner ! »), alors qu’il s’agit en réalité d’une réaction de survie profonde, appelée réponse d’effondrement ou « playing dead » — comme l’opossum. C’est une déconnexion du système nerveux face à un stress perçu comme inéluctable et écrasant.
Aux sources du figement : l’immobilité tonique animale
Le « syndrome de l’opossum » n’est pas un concept médical officiel au sens strict (il ne figure ni dans le DSM-5 ni la CIM-11). C’est une métaphore clinique utilisée en psychologie et en psychotraumatologie pour illustrer l’état de figement extrême décrit ci-dessus.
Le terme, nous l’avons dit, vient du comportement de l’opossum, un petit marsupial qui, lorsqu’il est menacé, se fige totalement, tombe au sol, ralentit ses fonctions vitales… et simule la mort — c’est ce qu’on appelle le « tonic immobility » ou « immobilité tonique ».
Ce concept vient des sciences du comportement animal, a été observé et documenté chez de nombreuses espèces. En psychologie humaine, ce mécanisme est repris dans plusieurs modèles de réponse au traumatisme :
- Stephen Porges avec sa théorie polyvagale, décrit la réponse de figement comme une activation du nerf vague dorsal.
- Peter Levine, dans ses travaux sur les traumas somatiques (fondateur de la méthode Somatic Experiencing), parle souvent de ce mécanisme comme une réaction de survie incontrôlée.
- Judith Herman, Bessel van der Kolk, ou encore Babette Rothschild évoquent aussi ces états dans leurs écrits sur le trauma.
La tournure est donc métaphorique, utilisée par certains cliniciens ou vulgarisateurs pour faire comprendre au grand public ce qu’est l’état de figement traumatique. Il n’a pas d’auteur unique, mais on le trouve parfois dans des ouvrages de psychoéducation, de santé mentale, ou dans des contextes de thérapie du trauma.
ATTENTION
Il ne faut pas confondre figement et sidération.
- Le figement est une réaction réflexe de l’organisme face à une menace perçue. C’est une réponse archaïque du système nerveux autonome, souvent associée au système parasympathique (état de gel – « freeze » – dans la triade fight / flight / freeze). Il sert à éviter d’attirer l’attention, ou à réduire la douleur en cas d’agression imminente. Elle se traduit par une immobilité physique, une respiration ralentie, un regard fixe, parfois une absence de réaction même à la douleur ou aux stimuli.
- La sidération est une réaction psychique intense à un choc (émotionnel, traumatique) qui déborde les capacités de traitement mental. Elle peut accompagner ou non le figement, mais elle est plus cognitive/psychologique. Le sujet est comme frappé de stupeur, incapable de penser, parler ou réagir. C’est une déconnexion mentale de la réalité trop violente ou insupportable pour le psychisme à l’instant T. Elle se manifeste par un regard vide, une perte de mots, une sensation de vide ou d’irréalité, l’impression de « sortir de son corps », parfois une amnésie partielle ou totale.
Symptômes du syndrome de l’opossum
Nous évoquions précédemment les manifestations du syndrome de l’opossum. Creusons un peu en précisant d’abord qu’il ne s’agit pas d’un diagnostic psychiatrique en soi, mais d’une réaction physiologique et psychique que l’on observe notamment :
- En cas de traumatisme (agressions, violences, abus, accidents, etc.)
- Dans certaines situations de stress chronique ou d’épuisement
- Chez des personnes souffrant de troubles dissociatifs, de trouble de stress post-traumatique (TSPT) ou de dépression sévère
Il peut se manifester par :
- Une sensation de vide intérieur, d’absence
- Une impossibilité à réagir ou à parler, même si l’on est conscient
- Une déconnexion émotionnelle (plus rien ne « passe »)
- Une sensation d’être spectateur de soi-même
- Une fatigue écrasante, soudaine
- Un repli extrême sur soi
Parce qu’il est silencieuse, le figement est souvent mal interprété : on accuse la personne de fuir ses responsabilités, d’être paresseuse, froide, indifférente. Or, elle est en réalité en mode survie. Le système nerveux autonome (en particulier le nerf vague) bascule dans un état de figement, hors de tout contrôle volontaire. Cette réaction peut durer quelques secondes… ou s’installer dans le temps, jusqu’à devenir un état chronique de dissociation ou de retrait.
Sortir du figement : un chemin de réappropriation
Pour en sortir, il ne suffit pas de « se bouger » ou de « réagir » : cela demande un processus délicat de reconnexion à soi, à ses ressentis, et à sa capacité d’agir.
Retrouver un sentiment de sécurité
La première étape du processus thérapeutique consiste à restaurer un sentiment de sécurité, aussi bien dans l’environnement que dans le corps. Une personne figée a besoin d’un cadre stable, bienveillant, prévisible, qui lui permette de relâcher l’hypervigilance. Le lien thérapeutique, s’il est sécurisant et régulier, devient alors un socle sur lequel le système nerveux peut commencer à se détendre.
Reconnecter au corps et aux sensations
Le figement entraîne souvent une dissociation : une rupture entre la conscience et les sensations corporelles. La personne ne ressent plus, ou ressent trop. La thérapie permet de rétablir cette connexion en douceur, à travers des approches qui sollicitent la présence au corps : respiration consciente, ancrage, mouvements doux, pleine conscience, visualisation. L’objectif n’est pas de forcer le retour aux sensations, mais de les apprivoiser, progressivement.
Intégrer les traumatismes à l’origine du figement
Derrière le figement se trouve souvent un ou plusieurs traumatismes non intégrés. Le système nerveux reste bloqué en mode « urgence », comme si le danger était toujours présent. Des méthodes comme l’EMDR, la psychothérapie du trauma, la thérapie des états du moi ou encore le Somatic Experiencing permettent de traiter ces mémoires traumatiques de manière sécurisée, en respectant le rythme de la personne.
Retrouver la capacité d’agir
Le figement prive la personne de son élan vital, de sa spontanéité, de son sentiment d’efficacité. Une part importante du travail thérapeutique consiste à l’aider à réinvestir son corps, son espace, sa parole, à renouer avec ses désirs, à reprendre des initiatives, même minimes. Ce retour au mouvement n’est pas qu’un progrès comportemental : c’est un signe profond de réparation intérieure.
Des approches multiples et complémentaires
Chaque parcours est unique. Il n’existe pas de méthode universelle pour sortir du figement, mais une pluralité d’outils qui peuvent se combiner selon les besoins :
– Psychothérapie (intégrative, humaniste…)
– Thérapies du trauma (EMDR, ICV, hypnose, etc.)
– Thérapies corporelles et somatiques (Somatic Experiencing, TRE, yoga thérapeutique, danse…)
– Pleine conscience, méditation, auto-compassion
Dans tous les cas, l’accompagnement psychologique doit être adapté, bienveillant, respectueux du rythme de chacun. Sortir du figement, c’est réapprendre à être présent à soi, à ressentir, à choisir — c’est retrouver sa place dans le monde, à partir de son corps et de son histoire.
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