La semaine dernière, nous commencions à explorer les différents facteurs alimentant le terreau d’enracinement des crises d’angoisse et des attaques de panique. En effet, ces dernières ne surviennent pas par hasard. Certes, elles s’ancrent dans des situations d’épuisement profond, de burn-out, de dépression, de phobies. Mais certains éléments, certains contextes vont contribuer à nous rendre plus vulnérables encore. Il y a le manque de sommeil, dont nous parlions dernièrement, mais aussi la rumination mentale.
Rumination mentale : un rouage puissant de l’angoisse
Ce n’est ni un hasard ni une exagération. Si j’en parle régulièrement dans mes consultations, mes articles, c’est que la rumination mentale est un rouage puissant dans la montée de l’angoisse. Il s’agit d’un processus de pensées répétitives particulièrement intrusives arrimées à des représentations puissantes héritées du vécu, d’une éducation, d’un trauma antérieur ; face à certaines situations du quotidien, la personne sujette à la rumination mentale n’arrive pas à lâcher prise et se retrouve progressivement piégée dans une boucle de réflexions négatives, anxieuses ou dépressives. La rumination est souvent associée à l’analyse excessive des événements passés, des soucis futurs et des problèmes non résolus. Elle peut avoir un impact significatif sur le bien-être émotionnel, contribuant ainsi à déclencher ou aggraver les crises d’angoisse. Ce phénomène implique plusieurs éléments.
Acte 1 : Focalisation sur les pensées anxieuses
Lorsque la rumination mentale se concentre sur des pensées anxieuses ou sur des scénarios dramatiques, elle peut intensifier les sentiments d’angoisse. Une personne peut ainsi se remémorer de manière répétitive une expérience passée où elle a fait face à une crise d’angoisse, en imaginant les mêmes sensations physiques et les mêmes émotions négatives. Cette focalisation renforce les réponses de peur et d’anticipation anxieuse, ce qui peut finalement déclencher une nouvelle crise d’angoisse.
Exemple :
La semaine dernière, nous avions laissé Marie en proie à des crises d’angoisse consécutives à un burn-out professionnel, crises d’angoisse que le manque de sommeil n’arrangeait guère. Harcelée par la fatigue, Marie, rappelez-vous, a de plus en plus tendance à la rumination mentale. Elle se sent épuisée émotionnellement, a de plus en plus de difficultés à faire face à la pression constante et aux responsabilités de son poste. C’est que surchargée de tâches en cours, elle ne cesse d’y penser, au travail, chez elle, le matin, le soir, le week-end, pendant ses moments de détente, ses ateliers de céramique, ses cours de sport, avec ses amis, pendant qu’elle dîne avec son mari, ses enfants.
Depuis combien de temps cela dure ? Depuis combien de temps est-elle harcelée par ces pensées pour le moins désagréables ? Marie ne sait plus vraiment. Ces pensées portaient initialement sur la réalisation des tâches, comment faire, avec quels moyens, quelle équipe, quelles dead lines… Progressivement est venu se greffer la petite idée pernicieuse « je n’y arriverai jamais », puis « comment je vais faire ? », puis « si je rate mon coup, on perd le client », puis « si on perd le client, je vais me faire virer ». Cela peut provenir d’une expérience antérieure douloureuse (un licenciement dans une précédente entreprise) ou bien d’une peur de l’avenir (perdre un travail dans un climat d’austérité économique alors qu’on a déjà un budget serré, des prêts à rembourser…).
Aujourd’hui Marie vit avec ces peurs qui la suivent jusque dans son sommeil et ses rêves. Elle craint de ne pas répondre aux attentes de ses supérieurs, de subir les conséquences potentielles d’un éventuel échec. La roue de l’anxiété est amorcée, d’autant que Marie a déjà fait une ou deux crises d’angoisse, elle en connaît les symptômes, elle sait que dans un climat d’incertitude prononcée, une crise peut survenir, et cela la terrifie. Il suffira bientôt d’un détonateur infime, une information fournie en retard par un collaborateur, le mail d’un fournisseur annonçant un délai, la remarque ambiguë d’un manager, et les pensées intrusives se transformeront en spirale infernale, avec la crise comme conclusion explosive.
Acte 2 : Amplification des pensées négatives
La rumination mentale peut également amplifier les pensées négatives et les rendre plus effrayantes ou menaçantes, quitte à verser dans le catastrophisme. Une personne a une pensée passagère liée à une situation potentiellement dangereuse, comme un tremblement de terre ; elle va alors commencer à ruminer sur cette pensée, en imaginant tous les scénarios catastrophiques qui pourraient en découler. Cette amplification des pensées négatives alimente l’anxiété et peut conduire à une crise d’angoisse.
Exemple :
Épuisée, Marie continue de s’informer, de se tenir au courant, c’est une femme curieuse de tout, et c’est normal. Rongée d’angoisse, parasitée par la rumination mentale, elle tente de s’en extraire. Mais une simple consultation de sa time line la fait replonger. Elle tombe sur un article racontant comment une jeune femme a été licenciée abusivement à la suite d’un burn-out. Marie se retrouve dans chaque ligne de ce récit, elle déglutit douloureusement, se voit à la place de cette employée. Et elle commence à mouliner : et si la remarque de son manager était un avertissement voilé, une manière de la menacer d’un éventuel renvoi ? Là encore, la spirale de la crise d’angoisse est amorcée.
Acte 3 : Cycle de préoccupation anticipative
La rumination mentale peut entraîner un cycle de préoccupation anticipative, dans lequel une personne anticipe continuellement de futurs événements stressants ou menaçants. Une personne qui a une présentation importante à faire au travail peut commencer à ruminer sur tous les aspects négatifs possibles de cette situation, tels que l’échec, l’embarras ou le jugement des autres. Cette anticipation anxieuse constante, parfois alimentée par le syndrôme de l’imposteur, crée un niveau élevé de stress et peut finalement conduire à une crise d’angoisse.
Exemple :
Dans cet état d’esprit, Marie commence à questionner la moindre de ses actions. Elle doit finaliser la négociation d’un contrat avec un gros client qu’elle suit depuis des années. Elle le connaît bien, ils entretiennent d’excellents rapports. Tout devrait bien se passer… en théorie. « Et si ? »
« Et si le client avait trouvé mieux et moins cher ailleurs ? Après tout, on est en crise économique ; les budgets sont réduits partout. Alors pourquoi pas là ? Mais j’ai intégré ce point dans la présentation de mon offre. Oui, mais est-ce que je vais être convaincante ? Est-ce que je ne devrais pas tout repenser ? Parce que les enjeux sont cruciaux. Est-ce que ce que je vais proposer va lui plaire ? »… À partir de là, le mécanisme est enclenché. L’angoisse monte inexorablement. La crise se profile gentiment.
Acte 4 : Renforcement des schémas de pensée négatifs
La rumination mentale peut renforcer les schémas de pensée négatifs et les croyances anxiogènes. Plus une personne rumine sur ses peurs et ses inquiétudes, plus elle a tendance à percevoir le monde comme menaçant et à interpréter les situations de manière négative. Par conséquent, lorsque de réelles situations stressantes surviennent, ces schémas de pensée négatifs sont activés, augmentant ainsi le risque de crise d’angoisse.
Exemple :
Dans cette configuration, Marie voit ses démons se réveiller jusqu’à s’acharner. Les vieux et mauvais souvenirs se précipitent, son 0 en mathématiques annoncé par la professeure devant tous ses camarades ricanant (comme elle a eu honte ce jour-là, elle s’est sentie meurtrie, salie, injustement), les remontrances de son maître de stage quand elle était en alternance, qu’elle ne savait rien faire et qu’on lui reprochait les erreurs d’autres collègues, les moqueries d’un ex qui trouvait qu’elle parlait mal, qu’elle n’avait pas de culture ni d’arguments… Comment avec tout ce passif, pourrait-elle convaincre ce client d’accepter son offre, de lui faire confiance, de rester ? Là aussi, une pierre s’ajoute dans la balance qui penche de plus en plus vers la crise d’angoisse.
Comme vous pouvez le constater en parcourant cet article, le mécanisme de la rumination mentale est pernicieux. Il va puiser dans les sensations présentes, mais aussi dans les failles du passé pour alimenter le doute sur l’avenir. Avec en prime un questionnement constant sur ses compétences, ses possibilités, éventuellement la conviction que le sort s’acharne. Bref, une véritable spirale qui, arrivée à un certain stade, et pour peu qu’on soit déjà très stressé et épuisé, peut faciliter le déclenchement d’une crise de panique mémorable. Voilà pourquoi il importe d’identifier ce mécanisme pervers, pour apprendre à l’endiguer. C’est le but des thérapies cognitivo-comportementales.
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