Initialement, la fatigue cognitive constitue un symptôme commun à l’autisme, à la sclérose en plaque, à l’AVC, au traumatisme crânien, à la maladie de Parkinson. Or, il se trouve que c’est aussi un signe de burn-out, d’ailleurs pris en compte par le test SMBM Shirom-Melamed Burnout Measure. De quoi s’agit-il exactement ? Comment cerner les signes de cette lassitude spécifique ? Que faire alors ?
Fatigue cognitive : une définition s’impose
Selon les psychologues et chercheurs Shirom et Melamed, à l’origine du test impliquant la fatigue cognitive parmi les signes de burn-out, cette dernière, également appelée lassitude cognitive, “correspond aux difficultés ressenties par une personne à se concentrer et mobiliser ses capacités intellectuelles”.
Pour cerner ce qu’est la lassitude cognitive, la docteure en neurosciences Marie Lacroix, dans l’article “Reconnaître et limiter la fatigue mentale grâce aux sciences cognitives” cite les propos de François Laurent, auteur de la thèse Détection de la fatigue mentale à partir de données électrophysiologiques : il s’agit d’une “ incapacité temporaire à atteindre ou maintenir une performance cognitive maximale suite à une activité mentale prolongée”.
En d’autres termes, une personne atteinte de fatigue cognitive peine à réfléchir, lire, comprendre, recouper, analyser. Elle n’arrive plus à se concentrer, se souvenir. Son épuisement intellectuel tient à la durée de la tâche effectuée, non à sa nature. Et ce symptôme peut s’avérer une véritable gêne, un handicap s’il n’est pas pris en compte. Car il s’agit à la source d’un déséquilibre chimique.
À l’origine de la fatigue cognitive, un processus biochimique
En effet, la lassitude cognitive correspond à un processus biologique, un ralentissement de l’activité du cortex préfontal latéral. Cette partie du cerveau est justement impliquée dans tout ce qui relève de la mémoire et de la concentration. Quand elle est trop stimulée, la production de glutamate, molécule sécrétée au niveau neuronal par un effort intellectuel prolongé, explose, ce qui entraîne la décélération de l’activité mentale.
Cette mise en évidence est le fruit d’une étude française menée par une équipe de l’institut du Cerveau sous la houlette du neuroscientifique Mathias Pessiglione. Publiée dans un récent article de Current biology, cette découverte récente révèle le processus chimique à l’œuvre dans l’épuisement cérébral. Cela constitue une véritable avancée scientifique riche d’enseignements :
- La fatigue mentale liée à un effort intellectuel intense ne proviendrait donc pas d’une baisse de glucose dans le sang, comme on le pensait jusqu’à présent.
- Elle constitue un signal fort qui doit aboutir à l’arrêt complet du travail entrepris afin de permettre au cerveau de se reposer pour récupérer toutes ses facultés.
Repérer les signes de la fatigue cognitive
Il importe de reconnaître les symptômes de cet épuisement très spécifique, d’autant plus qu’on est éduqué à en négliger l’impact, à en diminuer la réelle portée. Plusieurs signaux doivent vous mettre la puce à l’oreille, notamment :
- Un raisonnement ralenti, perturbé, le sentiment d’avoir le cerveau embrumé, d’être beaucoup moins réactif.
- Une difficulté à suivre une conversation, à se plonger dans un dossier, à trouver ses mots.
- La détérioration du “filtrage attentionnel”, c’est-à-dire de la capacité à faire le tri entre les informations nécessaires au travail et celles qui sont secondaires, à hiérarchiser les données selon leur intérêt et leur validité.
- Une tendance de plus en plus prononcée à la distraction doublée d’un réel effort pour revenir à sa tâche principale.
- Une prise de décision complexe, impulsive, sans aucune prise de recul (des études ont démontré que la fatigue cognitive pousse à multiplier les achats compulsifs après une journée de travail intense).
- Des troubles de la mémoire, du sommeil, de l’humeur, des émotions, une sensibilité accrue aux sons, aux lumières et aux ombres, aux odeurs…
On peut y ajouter une fatigue oculaire (souvent liée à l’usage des écrans, au passage brutal d’un écran à l’autre, d’un écran d’ordinateur à un écran de smartphone) doublée d’une sensation d’éblouissement, d’un larmoiement, des maux de tête, une perte d’énergie…
Identifier les causes de la fatigue cognitive
Il y a les signes, et il y a les causes, qu’il faut aussi cerner, car elles se croisent, se recoupent, s’imbriquent dans un processus d’amplification assez pernicieux :
- On pense immédiatement au manque de sommeil qui est à la fois une résultante et un facteur aggravant de la fatigue cognitive.
- À la source de ce manque de sommeil, il y a l’accumulation du stress, professionnel et/ou familial, des émotions négatives en nombre ; la surcharge de travail en entreprise se couple avec la charge mentale liée aux tâches ménagères et administratives, aux soucis du quotidien.
- Soulignons l’impact nocif de la multiplication des tâches à accomplir et de leur superposition ; avec les avancées technologiques, on peut désormais corriger un texte tandis qu’on est en visioconférence, donc se concentrer sur un écrit à rectifier tout en écoutant ses interlocuteurs, quitte à les interrompre à la volée en rebondissant sur une phrase, un mot. Nous avons tous dorénavant le réflexe de scroller sur nos écrans de smartphone tout en regardant un film à la télévision (l’usage du double écran est d’ailleurs pris en compte dans les stratégies publicitaires des marques).
- La fatigue cognitive est décuplée par l’infobésité et le matraquage des médias, des réseaux sociaux qui reposent sur l’immédiateté et l’interaction constantes.
Contrer la fatigue cognitive
Repérer les signes, identifier les causes… et agir avant de s’effondrer. Car quand le cerveau se trouble, l’épuisement est déjà là. Que faire ? Rétablir un sommeil de qualité, s’hydrater, s’alimenter convenablement ? Il faut du temps pour y parvenir et voir les premiers effets bénéfiques de ces changements. Se faire prescrire des médicaments par son médecin ? Cela n’aura qu’un effet bénéfique à court terme. Dans l’urgence, on peut certes mettre en place quelques parades :
- Réagir dès qu’on sent les symptômes apparaître, ne pas attendre, ne pas se forcer.
- Couper les réseaux sociaux, les notifications, tout ce qui peut constituer une distraction.
- Se ménager des pauses, quitte à adopter un rythme de travail différent, en s’appuyant sur les méthodes type POMODORO.
- Faire un véritable break, en sortant marcher un peu, en bougeant physiquement, sans replonger dans son téléphone portable.
- Anticiper les tâches qui vont demander une très grande concentration, afin de ne pas alourdir sa journée avec d’autres travaux aussi exigeants au niveau mental ; on peut y parvenir avec la méthode ABCDE.
- Alléger la to-do-list, la rendre plus cohérente, ne pas l’établir sous l’effet de la précrastination ou de la procrastination, en utilisant par exemple la méthode KANBAN.
- Éviter de se réfugier dans des comportements addictifs, consommation d’alcool et stupéfiants, qui vont largement aggraver la situation au lieu de la soulager.
Attention cependant : gérer l’urgence est une chose, mais il ne faut pas oublier que la fatigue cognitive est une partie seulement de l’iceberg. Il faut donc aller fouiller pour détecter ce qui la génère en profondeur. Cerner ce processus, le décomposer, en comprendre les mécanismes et les origines, c’est là l’important, car cette prise de conscience va orienter le choix de parades appropriées. À chaque cas, il faut des procédures adaptées, établies avec discernement.
Vous vous êtes reconnu dans ces lignes ? Vous désirez en parler pour en savoir plus et déterminer une stratégie ? N’hésitez pas à me contacter pour qu’on échange à ce sujet.