Je voulais commencer cet article par une citation. Sur l’autosabotage, il y en a peu ; sur l’art de rater sa vie, il y en a beaucoup. Trop peut-être ? En tout cas, rien de bien solide pour éclairer mes réflexions et vous apporter une explication claire de ce que représente ce comportement. Un comportement par ailleurs source d’une souffrance psychique réelle et poignante, surtout quand elle s’exprime dans mon cabinet, au fil de consultations où je vois mes patients se débattre avec. Difficile d’affronter l’autosabotage, car derrière se cachent des ressentis, des souvenirs, des process d’une grande toxicité.

Autosabotage : un process inconscient

Autosabotage, mais encore ? Vous avez vu le film Cuisines et dépendances ? Des amis perdus de vue qui se retrouvent pour un dîner, dîner qui va tourner au règlement de compte. Ces affrontements, on n’en vit les temps forts que depuis la cuisine où les personnages se réfugient à tour de rôle pour vider leur sac et évoquer des ressentis pas forcément agréables à dire et à entendre. Parmi eux, le personnage de Georges, interprété avec tant de hargne et d’humanité par le regretté Jean-Pierre Bacri. Eh bien, Georges est une pure émanation de l’auto-sabotage érigé en mode de vie. Sorte de misanthrope moderne, Georges a plaqué son travail, quitté sa compagne, et végète depuis sur le canapé d’un couple de copains. Pourquoi ? Il manque dans tout ça de la passion, « une petite pointe d’amour » confessera-t-il.

C’est une vision extrême, je vous l’accorde, mais elle a le mérite de questionner la chose. Techniquement, la notion d’’auto-sabotage fait référence à des comportements ou des actions délibérées, par lesquelles une personne entrave ou compromet son propre bien-être, son succès. Cela peut se manifester de différentes manières, par des choix de vie, des attitudes ou des habitudes qui contrecarrent les efforts de la personne pour atteindre ses objectifs. En ce qui concerne Georges, il est clair qu’il est conscient, voire désireux de bazarder une vie qui ne correspond pas à ses valeurs, ses attentes. Mais dans la plupart des cas, l’autosabotage est totalement inconscient, suscitant l’étonnement de ceux qui le subissent.

Pourquoi ? Pourquoi est-ce que toutes mes relations amoureuses avortent au bout de quelque temps ? Pourquoi mes entretiens d’embauche n’aboutissent pas ? Pourquoi je m’y prends toujours à la dernière minute pour faire les choses, ce qui aboutit invariablement à un ratage mémorable (dixit mes dernières vacances torpillées car j’ai retardé la location de la villa qu’on devait louer avec des amis, du coup pas de villa, et une impro un peu déjantée de villégiatures à la dernière minute, avec en prime mes amis qui n’apprécient pas, ma compagne qui me fait la tête, les enfants déçus) ? Pourquoi : la question que j’entends le plus en consultation. Pourquoi je fais ça ? Est-ce de ma faute ? D’où ça vient ? Comment je peux gérer ?

Différents visages, différents symptômes

Il faut déjà savoir que l’autosabotage peut avoir des visages différents, et qui se superposent à l’occasion. Quelques exemples pour cerner ces symptômes ?
• En tête de liste, la procrastination constante dont j’évoquais les effets pervers il y a quelques lignes, ou quand remettre toujours les choses à plus tard devient un handicap dans toutes les sphères de son existence, intime, familiale, amicale, professionnelle, sociale…
• On trouve également parmi les émanations de l’autosabotage l’autocritique excessive, soit se critiquer constamment (et parfois en des termes qui font frémir, du type « je suis nul.le, sans intérêt, un ou une con.ne, une merde » et j’en passe) et ne jamais reconnaître ses propres réussites ce qui, on s’en doute, exprime un total manque de confiance en soi et de bien-être général. Le tout rehaussé d’un autoapitoiement prononcé qui évite de chercher des solutions concrètes au problème.
La peur du succès ; ce n’est pas un mythe ni une légende moderne. Certains individus ont peur de réussir par crainte des changements que cela pourrait entraîner dans leur vie, ou parce qu’ils craignent l’échec.
• Les schémas de pensée négatifs comme le catastrophisme, l’anticipation du pire.
• Le perfectionnisme extrême, selon des normes tellement sévères et irréalistes qu’on ne peut pas achever ses projets car jamais ils n’atteindront ce niveau d’exigence.
L’évitement des défis, des conflits et des situations difficiles que cela pourrait engendrer.
L’auto-isolation, le rejet d’interactions sociales, de relations saines et enrichissantes.
• Les comportements destructeurs, notamment le sabotage financier (un grand classique).  
• Le refus de demander de l’aide, par crainte de paraître faibles ou incapables, d’être jugé.e, critiqué.e, sermonné.e.
Tout cela peut se croiser, interagir pour alimenter des barrières psychologiques ou émotionnelles déjà très ancrées et qui entravent largement toute progression.

Un ancrage profond

Se pose alors la question qui gêne, mais sans laquelle on ne peut pas avancer. D’où cela vient-il ? Dans quel terreau mental l’autosabotage s’enracine-t-il ? Là encore, plusieurs pistes à fouiller qui parfois se croisent, se superposent, petit à petit, très souvent depuis l’enfance.
• Un enfant qui a été constamment critiqué, dévalorisé ou qui n’a pas reçu le soutien nécessaire peut développer une faible estime de soi, un syndrome de l’imposteur qui le conduit plus tard, à l’âge adulte, à s’autosaboter à force de douter de ses capacités, ou par peur de rater.
• La pression excessive d’un tiers, parent, professeur, éducateur, pour réussir académiquement, sportivement ou socialement, peut engendrer la crainte de ne jamais être à la hauteur des attentes, d’où une anxiété importante qui se transformera éventuellement en autodestruction à l’âge adulte.
• Les comportements d’autosabotage peuvent être appris par l’observation des parents ou d’autres figures d’autorité, ce qu’on appelle la modélisation parentale. Si un enfant voit ses parents s’autosaboter ou adopter des comportements autodestructeurs, il est plus susceptible de reproduire ces schémas à l’âge adulte.
• Les enfants qui ont vécu l’abandon émotionnel ou la négligence peuvent développer des problèmes d’attachement et de confiance en soi, ce qui se manifestera ultérieurement par l’évitement répété de situations affectives qui pourraient déboucher sur un potentiel abandon.
• Les échecs non gérés durant l’enfance peuvent engendrer une aversion pour le risque à l’âge adulte.
• Des expériences traumatiques, physiques, émotionnelles ou psychologiques, peuvent laisser des cicatrices profondes, dont l’autosabotage comme moyen de faire face à la douleur non résolue.
• Les relations personnelles ou professionnelles toxiques peuvent également influencer négativement le bien-être émotionnel, conduisant à des comportements autodestructeurs.

Un travail de longue haleine

Face à pareille complexité, il semble évident qu’un simple « je veux m’en sortir » ou « aujourd’hui, c’est décidé, je change tout » est totalement utopique, pour ne pas dire déconnecté des réalités. Sortir de l’autosabotage est difficile, long et douloureux. J’irai jusqu’à dire que c’est essentiel, car on ne peut s’extraire de ce genre de processus sur un claquement de doigt au risque… de saborder sa sortie de l’autosabotage (ce qui n’est pas impossible, j’ai déjà vu des patients le faire). Aussi, je biffe d’entrée l’option « Conseils pour sortir tout seul comme un grand du process de ratage » ; il faut l’aide d’un professionnel… et de la patience. Avec un long cheminement à la clé, ponctué de différentes étapes cruciales.
• La prise de conscience, avec identification des comportements d’autosabotage adoptés, les situations dans lesquelles ils se déclenchent, les effets obtenus
• L’exploration des motifs sous-jacents et du pourquoi, des motifs et des croyances profondes qui contribuent à l’auto-sabotage. C’est le premier pas vers le changement.
• Le ciblage d’objectifs réalistes à atteindre (la bonne vieille méthode SMART), quitte à les redéfinir au fur et à mesure de la thérapie.
• La mise en place d’un plan d’action et de stratégies (avec les outils nécessaires) pour :
◦ Neutraliser les pensées négatives (les repérer, les rattacher à un schéma de pensée).
◦ Multiplier les pensées positives (en utilisant la reformulation).
◦ Renforcer l’estime de soi (en célébrant ses succès, ses réussites, chaque petit progrès accompli).
◦ Développer la bienveillance envers soi-même (n’oubliez pas, vous êtes votre meilleur.e ami.e, vous avez le droit à l’erreur, personne n’est parfait)
◦ Gérer le stress généré par le changement amorcé.

Chaque personne étant unique, le psychologue va apporter un conseil adapté, un cheminement thérapeutique sur-mesure, ainsi qu’un soutien émotionnel, dénué de jugement, bienveillant. Il s’agit d’un travail commun, d’un cheminement à deux.

Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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