Construites sur l’éloge de l’effort et du mérite, nos sociétés considèrent la procrastination comme un signe négatif de paresse, de désorganisation. À l’inverse, ceux qui se précipitent dans l’action sont pris pour modèles… à tort. Car en agissant dans l’urgence, ils font montre de précrastination. Or l’exact contraire de la procrastination est tout aussi problématique et un indice de mal être psychologique à ne pas prendre à la légère.
La précrastination, mais encore ?
C’est en 2014, au terme d’une étude menée au sein de l’université d’État de Pennsylvanie que le psychologue David Rosenbaum met ce comportement à jour. Dans le cadre d’une expérience, il a demandé à des étudiants de choisir entre deux seaux remplis afin d’en amener un à un point donné. Contre toute attente, la majorité des participants ont choisi le seau le plus éloigné de la destination.
Le concept de précrastination était né, ainsi défini par le site canadien Psychomedia :
“La précrastination, qui est l’opposé de la procrastination consiste à s’empresser d’accomplir une tâche, plus vite que nécessaire, même au prix d’un effort supplémentaire ou d’inconvénients.”
Que retenir de cette définition ?
- L’immédiateté de l’action
- Sa rapidité excessive
- Le manque d’observation et d’analyse
- La totale négligence des obstacles éventuels
- La non prise en compte de la fatigue occasionnée
En définitive, pourquoi précrastine-t-on ?
Bref, la définition de la précrastination n’a rien de positif. Elle amène à interroger les motivations, conscientes ou inconscientes, du précrastinateur type.
- Désire-t-il se débarrasser au plus vite d’une tâche pas forcément agréable ou gratifiante, voire carrément ingrate, qui lui tombe dessus au hasard de la journée, alourdissant ainsi son emploi du temps ? Est-ce une manière d’alléger ainsi sa charge mentale, de neutraliser l’angoisse d’une to do-list sans fin ?
- S’agit-il d’attirer l’attention et la reconnaissance de ses chefs et collaborateurs, épatés par cette tendance à la surproductivité ? De faire plaisir à son entourage, ses proches en accomplissant leurs demandes immédiatement ?
- Est-ce la volonté de vouloir bien faire, d’exceller, d’être un bon élève de la vie ? Ou bien un jeu avec soi-même, une sorte de test constant de ses propres limites ?
Ce qui est sûr, c’est que le précrastinateur, à force de charger sa barque, d’empiler les dossiers, en arrive au même point que son opposé, le procrastinateur : il effleure la surface des choses, négligeant l’essentiel, le cœur du problème. Typiques de ce travers, les étudiants pressés d’accomplir leurs devoirs sur table et qui négligent de lire le sujet jusqu’au bout, se condamnant de facto au hors sujet fatidique.
En quoi la précrastination est-elle source d’épuisement ?
Pourtant, le précrastinateur est très souvent un “workhaolic”, un perfectionniste obsédé du détail, qui ne délègue jamais par peur du travail mal fait. Et c’est bien là le paradoxe. Multitâche, sa concentration se disperse, s’effrite ; sans même s’en rendre compte, il bâcle ses missions. Boulimique de dossiers, il ne peut pas prononcer le mot “non”, c’est inconcevable pour lui, un signe de faiblesse impardonnable, une faille dans son armure. Pire, une défection.
Incapable de doser l’effort à accomplir, le volume de temps à consacrer à chaque mission, il fonce sans aucun recul, ne termine rien, ou rend des travaux inachevés et bancals. L’affolement progressif, le sentiment de se noyer, les frictions avec l’entourage, tout cela engendre du stress, de l’anxiété, de la culpabilité, de l’épuisement, un repli sur soi-même, du déni… et finit par un burn-out.
Quels outils utiliser pour tempérer la précrastination ?
Pour éviter d’en arriver là, le précrastinateur, comme le procrastinateur du reste, doit commencer par repérer le problème, l’accepter et ne pas s’en blâmer. L’idée est surtout d’identifier ce phénomène afin de l’endiguer. Cela revient à ne plus céder au diktat du “tout de suite, maintenant”. Apprendre à dire non s’impose comme une évidence, mais prendra probablement du temps. Il existe heureusement d’autres parades.
- Pour y parvenir, il faut avant tout absolument réfréner ses élans en mettant en place des process spécifiques, une méthode d’organisation comportant des phases précises, autant de filtres à respecter scrupuleusement pour endiguer cette réactivité maladive. N’hésitez pas à écrire ce plan d’action sur un panneau et à l’afficher en toutes lettres sur le mur de votre bureau.
- Cela suppose bien évidemment de planifier son programme d’action, de le mettre au propre, de le tenir à jour, en valorisant les tâches prioritaires, les urgences et les dossiers qu’il faut travailler sur le long terme. Là aussi, avoir ce calendrier affiché devant soi ou accessible en version papier sur un agenda suffisamment grand pour être consulté facilement peut vraiment aider à réfréner ses élans. On peut s’inspirer des méthodes d’organisation type ABCDE ou Kanban, voire les croiser pour optimiser encore son approche.
- Quand un collègue ou un manager propose un nouveau dossier à traiter, il convient de prendre le temps d’écouter et d’analyser la demande pour évaluer sa faisabilité, le timing en fonction de son calendrier de travail déjà établi. Utiliser le questionnaire Quitilien ( Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? ) instaure une distanciation bénéfique, oblige à prendre le temps de la réflexion.
- Le but est surtout d’adopter une vision globale du dossier à traiter, de ne pas se perdre dans des détails certes passionnants, mais qui cachent le cœur même du sujet.
- On peut aussi consacrer une heure de sa journée au traitement d’éventuels imprévus. Ce créneau est dédié à la prise en main des impondérables, des tâches de dernières minutes. Ces travaux devront être réglés très rapidement, il faudra y consacrer un minimum de temps.
- N’oubliez pas par ailleurs d’avertir vos collaborateurs de votre “changement de cap” ; habitués au dynamisme du précrastinateur, certains ont tendance à en profiter pour se délester des tâches pénibles ou peu valorisantes. Les informer de votre nouvelle organisation évitera les déconvenues ainsi que les remarques désobligeantes et culpabilisantes.
Le tout est de se rappeler constamment que la précrastination, souvent considérée comme un atout, s’avère en fait une forme de réactivité épidermique trompeuse. Cette tendance à vouloir tout faire dans l’immédiateté peut s’avérer mauvaise conseillère et problématique, particulièrement nocive pour soi et sa santé, physique et mentale. Vous pratiquez la précrastination au quotidien ? Cela vous pose problème, vous épuise, vous culpabilise ? N’hésitez pas à en discuter avec un psychologue spécialisé, il saura vous aider à identifier le problème, et vous proposera des solutions.