Accueillir ses émotions, les comprendre, les exprimer, les gérer … ces expressions reviennent en boucle dans le processus psychothérapeutique. Sans trop qu’on comprenne pourquoi elles sont là ni ce qu’elles représentent vraiment. Bonnes, mauvaises ? En majorité, les patients voudraient s’en débarrasser, de ces émotions qui leur pourrissent la vie. Oubliant un peu vite qu’elles sont humaines, naturelles, vitales. Et que depuis des siècles, on nous apprend avant tout à les négliger, les minimiser, les nier quant il faudrait leur donner de l’importance. Et ne plus vouloir les contrôler à tout prix. Explications.
Une émotion n’est jamais « trop » ou « injustifiée »
Commençons par voir à quoi elles servent, ces émotions qui traversent notre existence, bouleversent le quotidien. Quelques exemples peut-être ?
- La colère traduit une injustice ou une violation de nos limites.
- La peur nous alerte d’un danger potentiel.
- La tristesse nous aide à gérer la perte.
- La joie renforce les liens et nous pousse à recommencer ce qui fait du bien.
Très bien, mais derrière tout ça, qu’y a-t-il ? Une émotion, qu’est-ce au final sinon une réaction physiologique et psychique face à une situation spécifique ?
Les émotions sont un langage, elles nous informent d’un état. Elles n’apparaissent pas par l’action du saint esprit mais naissent dans le système limbique — un ensemble de structures cérébrales dont l’amygdale et l’hypothalamus — qui analyse les stimuli sensoriels et les expériences internes (souvenirs, pensées). Lorsqu’un événement déclenche une émotion, le cerveau active automatiquement certaines zones et mobilise le système nerveux autonome : on peut alors ressentir des manifestations physiques comme l’accélération du rythme cardiaque ou la tension musculaire. Cette activation émotionnelle repose en grande partie sur des substances chimiques appelées neurotransmetteurs, comme la dopamine (plaisir), la sérotonine (régulation de l’humeur) ou la noradrénaline (vigilance, stress).
Mais une émotion n’est jamais le fruit d’un seul message chimique. Elle résulte de l’interaction entre plusieurs circuits neuronaux et molécules, ainsi que de la manière dont notre cerveau interprète ce que nous vivons. Selon certaines théories (comme celle de James-Lange), l’émotion pourrait même naître à partir des réactions du corps : ce n’est pas la peur qui fait battre le cœur, mais le cœur qui bat qui nous fait ressentir la peur. Les émotions sont donc à la fois biologiques, chimiques et cognitives.
Un langage complexe à décrypter
Pourquoi ce petit exposé scientifique ? Pour bien comprendre que les émotions ne sont jamais « trop » ou « injustifiées ». Elles résultent d’un processus complexe impliquant le corps et le cerveau, expriment un besoin, une tension, une réalité intérieure. La question n’est pas : « est-ce que j’ai le droit de ressentir ? » ou « est-ce normal de ressentir ça ? » mais « qu’est-ce que cette émotion me dit ? » Parce que ces émotions qui nous traversent, non seulement on ne peut pas s’en débarrasser ni les éradiquer (il ne vaut mieux pas car nous perdrions notre humanité) mais il faut en plus les considérer, les comprendre. C’est la première étape vers leur régulation, régulation qui se fera de manière progressive et ne sera jamais définitive.
Cela pour dire qu’il est normal d’avoir des difficultés à gérer ses émotions, cela fait partie des mystères de la psyché humaine. Là où cela devient problématique, c’est quand le flot des émotions nous submerge tant qu’on se retrouve en incapacité d’agir, que cela provoque des réactions puissantes et invalidantes type anxiété chronique, type d’angoisse ou dépression. Et il existe des situations qui provoquent cette hausse de la portée émotionnelle, ainsi :
- Une surcharge mentale ou physique qui rend plus vulnérable émotionnellement ; notes par exemple combien les émotions sont exacerbées quand on est fatigué.e ou malade.
- Une éducation émotionnelle insuffisante (on apprend souvent à « se taire », « ne pas pleurer », « rester calme »).
- Des traumatismes qui provoquent des réactions excessives ou inhibées.
- Des croyances erronées du genre « ressentir, c’est être faible », « je dois rester maître de moi ».
Autant de terrains fertiles qui amènent à se sentir envahi.e, submergé.e, ou au contraire coupé.e de ses émotions, sans comprendre pourquoi.
Dompter ses émotions : une attitude à risques
A ce stade de mon article, vous avez saisi que « dompter » ses émotions relève du doux rêve ; on ne dompte pas ses émotions, car cela peut avoir des répercussions à plus ou moins long terme sur l’état de santé.
Au niveau mental, on risque :
- la fatigue psychique – réprimer en permanence ses émotions demande une grande énergie mentale, épuise les ressources du cerveau à long terme.
- l’anxiété et la dépression – plusieurs études montrent que la suppression émotionnelle chronique est liée à un risque accru de troubles anxieux et dépressifs.
- la déconnexion de soi – à force de nier ses ressentis, on peut perdre le lien avec ses besoins réels et ses limites.
- des difficultés relationnelles – ne pas exprimer ses émotions peut provoquer des malentendus, de la froideur, voire de la solitude affective.
Il y a également des risques pour la santé physique :
- des somatisations – les émotions refoulées peuvent se traduire par des douleurs chroniques, des tensions musculaires, des troubles digestifs ou du sommeil.
- un système immunitaire affaibli – un stress émotionnel constant perturbe la production de cortisol, ce qui peut affaiblir les défenses immunitaires.
- des troubles cardiovasculaires – la répression émotionnelle favorise une pression artérielle élevée et augmente le risque d’accidents cardiovasculaires.
Faire de ses émotions des alliées
Ok dompter ses émotions, ce n’est pas une bonne solution. Il vaut mieux en faire des alliées. Mais encore ? Voici quelques axes de travail :
1. Identifier l’émotion
Mettre un mot sur ce que l’on ressent dans des situations précises, c’est déjà commencer à en reprendre la maîtrise. Est-ce de la colère ? De la peur ? De la honte ? Du découragement ? Pour mettre des mots sur les ressentis, n’hésitez pas à tenir un journal émotionnel, ça aide vraiment à éclaircir les choses.
2. Reconnaître le message derrière l’émotion
Chaque émotion signale un besoin : être respecté, protégé, entendu, aimé, reconnu…
Plutôt que de se juger (« je suis trop sensible »), demandez-vous : « De quoi ai-je besoin là, maintenant ? », « quel besoin traduit cette émotion, ressentie dans cette situation ? »
3. Accueillir sans juger
Pleurer, trembler, parler, crier parfois… Laisser sortir l’émotion (dans un cadre sécurisé) permet de désamorcer la tension. L’émotion, une fois accueillie, circule et s’apaise.
4. Apprendre à réguler sans refouler
Des techniques peuvent aider à faire redescendre l’intensité émotionnelle :
- Respiration consciente
- Méditation ou pleine conscience
- Mouvement corporel (marche, étirements, danse, etc.)
- Expression artistique (dessin, écriture, musique…)
5. Se faire accompagner si besoin
Quand les émotions sont trop envahissantes, ou au contraire complètement absentes, une psychothérapie peut offrir un espace de régulation. On y apprend à remettre de la clarté, de la sécurité et du sens dans son vécu émotionnel.
Résumons : il ne faut pas confondre « gérer ses émotions » et « ne rien ressentir ». Gérer ses émotions, c’est ne plus se laisser submerger, ne plus réagir automatiquement, ne plus culpabiliser de les ressentir. C’est surtout retrouver une relation plus juste avec soi-même, les autres, et le monde.
Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.