Pourquoi avons-nous raté ce concours ? Pourquoi cette personne nous a-t-elle quitté·e ? Pourquoi tel projet a fonctionné et pas tel autre ?
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Derrière toutes ces questions se cache un mécanisme psychologique appelé l’attribution causale. Un concept fondamental à plus d’un titre, vous allez le comprendre en parcourant les lignes qui suivent.
L’attribution causale : un impact direct sur notre estime de soi
Fondamental donc ? Mais en quoi ? Je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous cherchons tous.tes des causes à ce que nous vivons, que ce soit pour comprendre, donner du sens… ou nous protéger. L’attribution causale désigne la manière dont nous expliquons les événements qui nous arrivent, qu’ils soient positifs ou négatifs. Pourquoi c’est important en psychologie ? Parce que cela a un impact direct sur notre estime de soi, notre motivation, nos émotions… et notre santé mentale.
Un petit exemple, peut-être ?
Prenons Léa (bonjour Léa). Cette jeune diplômée de 28 ans, postule à un poste qui lui tient à cœur. Elle passe les entretiens avec sérieux, mais apprend qu’elle n’est pas retenue. Cette situation, Léa peut l’interpréter de plusieurs façons.
- Option 1 :« Peut-être que mon profil ne correspondait pas à ce qu’ils cherchaient. Je vais demander un retour, revoir ma lettre, et tenter ailleurs. » Dans cette perspective, Léa fait preuve de recul, d’une gestion émotionnelle évidente. Elle apprend de l’expérience, son estime de soi est intacte, de même sa motivation.
- Option 2 : « J’ai raté parce que je suis incompétente. Je ne suis pas faite pour réussir. » Sentiment d’échec, dévalorisation de soi, perte de confiance en soi (qui à ce stade ne doit déjà pas être très élevée), Léa vit mal ce choix et s’en attribut la cause. Elle a été refusée car elle n’est pas compétente, en d’autres termes elle est nulle, elle l’a toujours su de toute façon. Autant dire que la motivation n’est plus au rendez-vous. Le risque de dépression par contre est bien présent.
- Option 3 : « De toute façon, les recruteurs sont injustes. On n’a aucune chance sans piston. » Sentiment d’impuissance, conviction de ne pas être reconnue à sa juste valeur, d’être discriminée… Léa développe une méfiance accrue qui va alimenter le stress anticipatoire des prochains entretiens ce qui peut tourner au risque d’anxiété chronique ou d’évitement.
Cet exemple est parlant. Ce n’est pas seulement ce que nous vivons qui nous affecte, mais la manière dont nous l’expliquons à nous-mêmes. Travailler sur ses attributions permet d’éviter les spirales mentales destructrices… et d’ouvrir d’autres possibles.
L’attribution causale selon Heider
Pour la petite histoire, l’attribution causale est un concept-clé de la psychologie sociale et cognitive, qui s’est développé dans les années 1950 grâce aux travaux du psychologue autrichien Fritz Heider. Dans son ouvrage The Psychology of Interpersonal Relations (1958), Heider s’intéresse à la manière dont les individus donnent du sens au comportement des autres — et au leur — dans la vie quotidienne. Il observe que nous sommes naturellement portés à chercher des causes aux événements, surtout quand ils sont importants, ambigus ou inattendus. Selon lui, les individus fonctionnent comme des « psychologues naïfs » : ils élaborent des hypothèses, des explications, des scénarios pour comprendre ce qui se passe. Ce besoin d’explication sert à stabiliser notre perception du monde, à réduire l’incertitude (petit rappel, le cerveau déteste l’incertitude)… mais il peut aussi nous induire en erreur.
Heider distingue ainsi deux grandes formes d’attribution :
- L’attribution interne (ou dispositionnelle) : on attribue la cause d’un comportement à des facteurs personnels (intentions, traits de personnalité, compétences…). Exemple type : « J’ai échoué parce que je suis nul. »
- L’attribution externe (ou situationnelle) : on attribue la cause à des éléments extérieurs (circonstances, hasard, pression sociale…). Exemple : « J’ai échoué parce que l’épreuve était trop difficile. »
Les trois dimensions de Weiner
Dans les décennies suivantes, ce modèle a été repris et enrichi, notamment par Bernard Weiner, psychologue américain, qui l’a appliqué à des domaines concrets comme la réussite scolaire, la motivation, la dépression. Il a introduit trois dimensions fondamentales pour affiner l’analyse des attributions :
- Le lieu de la cause : interne ou externe
- La stabilité : est-ce que la cause est stable dans le temps ou passagère ?
- La contrôlabilité : est-ce que la personne peut agir sur cette cause ou non ?
Mais encore ? Concrètement, ça donne quoi ? Retrouvons Léa qui, malgré ses doutes, a réussi à décrocher un poste à sa convenance. Elle a fait une présentation devant ses collègues… et l’a trouvée ratée. Voici différentes manières d’expliquer cet événement selon les trois dimensions de Weiner :
1. Attribution interne, stable, incontrôlable : « Je suis nulle à l’oral. Je l’ai toujours été, et je ne pourrai jamais changer ça. »
- Lieu : Interne → elle pense que le problème vient d’elle.
- Stabilité : Stable → elle considère que cette difficulté est permanente.
- Contrôlabilité : Incontrôlable → elle ne se croit pas capable d’y remédier.
- Conséquence possible : baisse de confiance, évitement des prises de parole, renforcement du sentiment d’échec.
2. Attribution externe, instable, incontrôlable : « Les conditions étaient mauvaises, il y avait trop de bruit, et le rétroprojecteur ne fonctionnait pas. »
- Lieu : Externe → le problème vient de l’environnement.
- Stabilité : Instable → ce n’est pas toujours comme ça.
- Contrôlabilité : Incontrôlable → elle n’aurait rien pu faire de plus.
- Conséquence possible : soulagement momentané, mais risque de se sentir impuissante si ce type de justification devient systématique.
3. Attribution interne, instable, contrôlable : « J’étais mal préparé·e cette fois-ci, mais je peux mieux m’organiser la prochaine fois. »
- Lieu : Interne → elle reconnaît une part de responsabilité.
- Stabilité : Instable → ce n’est pas une fatalité.
- Contrôlabilité : Contrôlable → elle peut agir pour progresser.
- Conséquence possible : estime de soi préservée, sentiment de compétence, motivation à s’améliorer.
Ce que montre cet exemple ? La grille de lecture de Wiener met en lumière des styles d’attribution spécifiques, et leur impact sur l’estime de soi, la motivation, la persévérance, et la santé mentale.
Ce n’est pas tant l’événement lui-même qui détermine l’impact émotionnel, mais la façon dont on l’interprète. On s’en doute, ces travaux ont eu une influence majeure sur la psychologie clinique, l’éducation, le sport, et même le monde du travail.
Attribution causale : un piège mental ?
Et fort heureusement, car l’attribution causale peut faire beaucoup de dégâts au niveau du psychisme. On pourrait croire qu’expliquer ce qui nous arrive est toujours bénéfique. En réalité, nos attributions peuvent devenir des pièges mentaux. Mal interpréter la cause d’un événement, le généraliser ou le rendre absolu peut profondément affecter notre équilibre psychologique, nos comportements, et même notre santé physique.
Ainsi, certaines personnes s’enferment dans des explications négatives ou culpabilisantes, souvent dès le plus jeune âge, parfois renforcées par l’environnement familial ou scolaire :
- « Si mon enfant a fait une crise, c’est parce que je suis une mauvaise mère. »
- « Si je suis célibataire, c’est que je ne suis pas aimable. »
- « Si je n’ai pas été promu, c’est parce que je suis inintéressant. »
Ces attributions internes, stables, incontrôlables génèrent une image de soi dévalorisée, un sentiment d’échec permanent, une baisse de motivation, des comportements d’auto-sabotage.
A l’inverse, attribuer tous les problèmes aux autres ou à la malchance peut mener à de la paranoïa sociale, une incapacité à se remettre en question, un isolement progressif.
En matière de santé psychique, l’impact est aussi important. Les recherches en psychologie ont démontré que les styles d’attribution sont étroitement liés à plusieurs troubles :
- Le style dépressif se caractérise par des attributions internes, stables, incontrôlables du genre : « C’est moi le problème, et ça ne changera jamais. »
- Le style anxieux survalorise l’instabilité et l’imprévisibilité des facteurs externes en mode « Tout peut basculer d’un moment à l’autre, je dois rester sur mes gardes. »
Ces schémas alimentent la rumination, le sentiment d’impuissance, la procrastination, le repli sur soi, les troubles du sommeil, voire des comportements à risque ou d’évitement.
Comme si cela ne suffisait pas, les attributions jouent aussi un rôle important dans la gestion de la douleur, de la maladie, et du rapport au corps. Quelques exemples ?
- Une personne atteinte d’une maladie chronique peut penser : « C’est de ma faute si je suis malade, j’ai mal vécu, j’ai fait de mauvais choix. » Cela peut aggraver la souffrance morale, freiner la prise en charge, ou renforcer le refus de soin.
- À l’inverse, si une personne attribue sa fatigue ou ses douleurs uniquement à des causes extérieures incontrôlables, elle risque de se désengager de tout ce qui pourrait l’aider (activité physique, hygiène de vie, accompagnement thérapeutique).
A noter : en santé publique, on constate que les personnes qui perçoivent leur état comme changeable et influençable (attributions instables et contrôlables) sont plus engagées dans les soins, plus résilientes, et récupèrent mieux.
Les attributions ne sont ni figées ni définitives
En résumé, une attribution causale mal régulée peut renforcer des croyances erronées, bloquer le changement, générer de la souffrance mentale inutile, voire nuire à la santé physique en sabotant la capacité à prendre soin de soi. C’est pourquoi travailler ses attributions, les observer, les reformuler, est un levier puissant en psychothérapie. Parce que la bonne nouvelle, c’est que les attributions ne sont ni figées ni définitives. Elles peuvent évoluer.
C’est justement ce que permet le travail thérapeutique : prendre conscience de ces mécanismes mentaux souvent automatiques, les observer, les mettre à distance, puis les reformuler de manière plus juste, plus souple, plus bénéfique. Concrètement, cela se passe comment ?
1. Observer pour désamorcer
La première étape consiste, on s’en doute, à prendre conscience de ses schémas d’attribution. Dans quelles situations ai-je tendance à tout ramener à moi ? Ou à accuser systématiquement les autres ? Suis-je dans l’exagération ? Est-ce que je généralise à partir d’un seul échec ?
En thérapie, cette prise de recul permet :
- de repérer les pensées automatiques associées à un événement,
- de mettre en lumière les dimensions internes / externes, stables / instables, contrôlables / incontrôlables,
- de sortir de la confusion émotionnelle en identifiant le rôle de l’interprétation.
2. Reformuler pour mieux vivre
Une fois ces mécanismes identifiés, le travail thérapeutique va permettre de :
- nuancer les explications (ce n’est jamais tout moi, tout les autres, tout le temps),
- replacer les événements dans un contexte plus large (une situation isolée ne définit pas une personne),
- redonner à la personne une marge de manœuvre, en se concentrant sur ce qui est contrôlable,
- restaurer la bienveillance envers soi-même, sans verser dans le déni ou la déresponsabilisation.
Bon à savoir : ce travail est central dans plusieurs approches,
- en TCC (thérapies cognitives et comportementales), où les pensées automatiques et les attributions dysfonctionnelles sont reformulées activement,
- en ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement), qui aide à identifier les pensées comme des constructions mentales et non des vérités absolues,
- en psychoéducation, notamment avec des adolescents ou des personnes en souffrance chronique, pour leur redonner un sentiment de cohérence.
Ce que cela change au final ? Travailler ses attributions, c’est changer de lunettes sur le monde, retrouver du sens, du pouvoir d’agir, de la souplesse mentale. C’est sortir du fatalisme ou du rejet systématique pour habiter une zone plus vivable, où l’on peut se dire : « Ce n’est pas entièrement ma faute, ce n’est pas figé, et je peux faire quelque chose. »
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