Violence psychologique : une expression qu’on emploie beaucoup, dans les médias comme dans les conversations, et très (trop) souvent à tort ou à travers. C’est ce que j’ai pu constater au fil de mes consultations : beaucoup de patients ne réalisent pas qu’ils en sont victimes, n’ont pas notion de ce que cela représente en terme de menace et de séquelles. D’où cet article où je vais tâcher de faire un peu la lumière sur ce phénomène.

Un phénomène généralisé

First thing first, commençons, et c’est logique, par définir ce qu’est la violence psychologique. L’expression désigne un comportement intentionnel qui vise à infliger des dommages émotionnels, mentaux ou psychologiques à une autre personne. Contrairement à la violence physique qui implique des blessures corporelles (gifle, coup de poing ou de pied, usage d’une arme…), la violence psychologique se manifeste principalement à travers des mots, des comportements, des attitudes ou des gestes conçus pour manipuler, contrôler, intimider, humilier ou dévaloriser la victime.

L’idée n’est pas neuve, loin de là. De nombreux chercheurs et psychologues se sont penchés sur ce type de violence au fil du temps pour mieux en cerner la nature et les mécanismes. Citons à titre d’exemple Lenore E. Walker, Patricia Evans, Dorothy Tennov, Evan Stark, Neil Jacobson et John Gottman, Richard J. Gelles.Toutes et tous ont contribué de manière significative à la compréhension de la violence psychologique, notamment dans la sphère intime du couple et de la famille, et à la sensibilisation à ses effets dévastateurs sur les individus et les relations.

Précisons néanmoins que la violence psychologique s’exprime ailleurs que dans le couple et dans les relations parents/enfants. Elle s’épanouit partout, aussi bien au niveau social que dans l’univers de l’entreprise ou de l’école (en témoigne l’explosion des cas de harcèlements scolaires que j’évoque dans un article précédent). Elle touche aussi bien les enfants que les adolescents, les adultes, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, peu importe le genre, l’origine ethnique et sociale, le métier, l’âge, le statut économique.

Des statistiques parlantes

Chiffrer l’étendue du phénomène ? Difficile quand les violences psychologiques, encouragées par l’avènement des réseaux sociaux, contaminent des domaines aussi différents. On a donc des statistiques morcelées. Je ne reviendrai pas sur les chiffres absolument sidérants du harcèlement et de la violence psychologique en milieu scolaire, cités dans …..

Dans le cas des violences conjugales, un étude publiée fin 2022 sur le site vie-publique.fr laisse apparaître que :

« Un tiers des victimes ont subi une violence verbale ou psychologique :

  • menaces (14%) ;
  • harcèlement moral (11%) ;
  • atteintes à la vie privée (4%) ;
  • injures et diffamations (1%)« .

Pour ce qui est des enfants, les données chiffrées du Service National d’Appel Téléphonique de l’Enfance en Danger en 2022 parlent d’elles-mêmes : « Les violences psychologiques sont prédominantes et sont évoquées dans plus de la moitié des sollicitations (54 %) suivies des négligences envers l’enfant (48,5 %) et des violences physiques (36,2 %)« .

En ce qui concerne les violences psychologiques en entreprise, une enquête menée par l’Organisation internationale du travail à la même période dévoile que « 743 millions de personnes ont subi au moins une forme de violence et de harcèlement au travail au cours de leur vie professionnelle ». « Les violences psychologiques sont les plus courantes et elles touchent 17,9 % des hommes et femmes – soit 583 millions de personnes – durant leur vie professionnelle ». 

Idem dans le milieu du sport. Une étude québecoise réalisée en juin 2023 par Isabelle V. Daignault, professeure de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, Nadine Deslauriers-Varin et Sylvie Parent de l’Université Laval révèle que « 62 à 68% des athlètes adolescents ont rapporté avoir vécu de la violence psychologique en contexte sportif, soit par un pair athlète, soit par un entraîneur ».

On pourrait en citer bien d’autres. Le fait est que la violence psychologique est partout, oeuvrant dans tous les domaines, toutes les sphères de la société, presque banalisée. Mais encore ? Comment cela se traduit-il ?

Comment s’exprime la violence psychologique ?

Elle peut revêtir plusieurs visages, qui se mêlent de manière subtile et ne sont pas forcément évidents à identifier de prime abord. Relèvent de la violence psychologique :

  • Les insultes, les critiques constantes et les dévalorisations ; cela peut inclure des commentaires répétés sur les défauts ou les faiblesses de la victime, des invectives, des moqueries, des remarques humiliantes qui visent à diminuer l’estime de soi de la victime.
  • L’intimidation et les menaces, verbales ou non verbales, pour terroriser la victime (menaces de violence physique, de représailles, de conséquences négatives si cette dernière ne se conforme pas aux désirs de l’agresseur).
  • L’humiliation publique ; l’agresseur peut chercher à humilier la victime devant d’autres personnes, que ce soit en la critiquant ou en la ridiculisant, afin de renforcer son contrôle et de diminuer l’estime de soi de sa proie.
  • La manipulation émotionnelle, quand l’agresseur joue avec les émotions de la victime pour obtenir ce qu’il désire, via la culpabilisation, le chantage affectif, sa propre victimisation afin de susciter de la sympathie ou de la loyauté.
  • Le contrôle excessif qui permet de superviser tous les aspects de la vie de la victime, interactions sociales, finances, activités quotidiennes, pensées et émotions.
  • L’isolement social quand l’agresseur amène la victime à couper tous les liens avec sa famille, ses amis, son réseau de soutien, ce qui va la rendre plus vulnérable et dépendante.
  • La négligence émotionnelle, quand on ignore les besoins émotionnels de la victime, à laquelle on n’accorde ni attention, ni soutien ni affection, on minimise également ses sentiments.

Quelle typologie d’agresseurs ?

Cela nous amène à scruter les personnes qui usent de ces procédés. Et là, force est de constater que les agresseurs et agresseuses (les femmes pratiquent la chose aussi bien que les hommes) ont des profils très divers et interviennent dans des contextes variés avec des motivations différentes.

  • Les conjoints, les petits amis, ou les partenaires romantiques peuvent utiliser la violence psychologique pour contrôler, manipuler ou dominer leur partenaire.
  • Les membres de la famille, y compris les parents, les frères et sœurs, les enfants ou les autres membres de la famille élargie, peuvent également s’avérer des agresseurs particulièrement efficaces. Cela peut se manifester sous forme de critiques constantes, de dévalorisation, de chantage émotionnel, ou d’autres formes de comportement abusif.
  • Dans les environnements professionnels, les collègues de travail ainsi que les managers peuvent utiliser la violence psychologique pour intimider, humilier ou contrôler leurs collègues. Cela peut inclure le harcèlement professionnel, les critiques injustifiées, la manipulation ou la diffusion de rumeurs.
  • Les amis, les camarades de classe ou les pairs peuvent également utiliser des comportements tels que l’intimidation, la manipulation ou l’exclusion sociale, la diffusion de rumeurs pour dominer ou contrôler les autres.
  • Des figures d’autorité telles que les enseignants, les entraîneurs, les leaders religieux, les responsables politiques ou d’autres personnes en position de pouvoir peuvent utiliser la violence psychologique pour maintenir leur autorité.

Une réalité difficile à détecter

A ce stade de notre exposé, on ne peut contester la chose. La violence psychologique existe. Mais elle est souvent difficile à détecter et à identifier pour plusieurs raisons.

  • Contrairement à la violence physique qui laisse des preuves visibles telles que des blessures ou des marques, la violence psychologique laisse rarement des indices tangibles. Les dommages sont souvent internes et ne sont pas facilement observables de l’extérieur.
  • La violence psychologique peut être très subtile et insidieuse. Les agresseurs appliquent des tactiques de manipulation, de contrôle ou d’intimidation qui ne sont pas facilement reconnaissables, surtout pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce genre de mécanisme.
  • Dans certaines situations, les comportements abusifs peuvent être normalisés ou excusés, ce qui rend difficile l’identification du phénomène par la victime. Par exemple, des remarques désobligeantes déguisées en « blagues » ou en « conseils » peuvent être perçues comme acceptables dans certains contextes.
  • Les agresseurs sont souvent très habiles à manipuler les émotions de leur victime. Ils peuvent utiliser la culpabilisation, la minimisation de leurs actes, le chantage affectif ou la victimisation pour maintenir leur contrôle et dissimuler la nature abusive de leur comportement.
  • Les victimes peuvent éprouver un fort sentiment de culpabilité, de honte ou de confusion par rapport à ce qu’elles vivent. Elles peuvent minimiser les comportements abusifs, se sentir responsables de la situation, ce qui encourage leur mutisme. Pour preuve, selon l’étude de l’OIT citée plus haut, moins de 55 % des salariés victimes de violence psychologique et de harcèlement sur leur lieu de travail ont osé en parler.

Quelles conséquences pour la victime ?

Et c’est là un véritable drame. Car la violence psychologique a des conséquences profondes sur la santé mentale et le bien-être de la personne qui la subit.

  • Problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, la dépression, le stress post-traumatique (PTSD), les troubles de l’alimentation, les troubles de la personnalité, ou d’autres troubles liés au stress.
  • Baisse de l’estime de soi et de la confiance en soi , ce qui peut affecter tous les aspects de la vie quotidienne.
  • Troubles dans les relations interpersonnelles, avec une érosion de la confiance en l’autre, de l’intimité émotionnelle et de la communication saine avec l’entourage.
  • Troubles physiques, maux de tête, troubles gastro-intestinaux, troubles du sommeil, tensions musculaires accrues, palpitations et autres symptômes liés au stress chronique.
  • Comportements nocifs commel’abus de substances, l’automutilation, ou d’autres comportements autodestructeurs.
  • Risques de suicide.

Véritable traumatisme, la violence psychologique peut engendrer des effets néfastes sur le long terme. Cela peut durer pendant des années, voire toute la vie, et avoir un impact irréversible sur la santé mentale et le bien-être global de la victime.

Comment s’en protéger ?

Il importe donc de s’en préserver, même si cela est complexe. Il existe des stratégies et des mesures à mettre en place pour y parvenir.

  • Déjà, savoir de quoi il s’agit, s’informer.
  • Apprendre à détecter et identifier les signes de violence psychologique et de comportement abusif.
  • Définir des limites claires et les communiquer explicitement à l’entourage.
  • Faire confiance à ses instincts (si quelque chose semble inhabituel, illogique, source de malaise, il faut écouter ses doutes, se méfier).
  • S’affirmer et se faire respecter en refusant de céder aux chantages et aux abus.
  • Éviter les personnes toxiques qui exercent ce type de violence.
  • Prendre soin de soi, de son bien-être physique, psychique et émotionnel (exercice, yoga, relaxation, repos…).
  • Trouver du soutien auprès de ses proches, ne surtout pas rester seul face à l’agresseur.
  • Demander l’aide de professionnels de santé, médecin de famille et psychologue, qui aideront à comprendre la nature exacte de la menace, permettront d’y faire face, et accompagneront le processus thérapeutique nécessaire pour se remettre de pareille expérience.

Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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