Harcèlement scolaire : un cauchemar pour les victimes et leur famille, un problème de fond pour les écoles et une triste réalité qui perdure. Avec le plein de séquelles à la clé, et très souvent des proches désemparés qui ne savent pas comment réagir face à ce fléau d’autant plus dangereux qu’il avance à couvert, dans un climat d’omerta délétère. Une chose est sûre : sans soutien psychologique, la victime risque fort d’y laisser sa santé mentale, voire pire. Car le harcèlement relève du traumatisme profond. Explications.

Harcèlement scolaire : définition

Le terme est à la mode, on s’en sert pour désigner tout et son contraire. Commençons donc par définir ce qu’est exactement le harcèlement scolaire. À ce titre, le psychologue Dan Olweus, spécialiste de la question, a posé un cadre très clair :

« Un élève est victime de harcèlement lorsqu’il subit, de façon répétitive, des actes négatifs de la part d’un ou plusieurs élèves. Un comportement négatif peut se produire lorsqu’un élève, ou un groupe d’élèves, inflige un malaise à un autre élève, que ce soit de manière physique (frapper, pousser, frapper du pied, pincer, retenir autrui) ou verbale (menaces, railleries, taquineries et sobriquets). Les actions négatives peuvent également être manifestées sans parole ni contact physique (grimaces, gestes obscènes, ostracisme ou refus d’accéder aux souhaits d’autrui)« .

À partir de cette définition, on distingue plusieurs spécificités :

  • le harcèlement scolaire implique un rapport de domination qui passe par la violence.
  • il se caractérise par la répétition et la fréquence des attaques.
  • la victime, isolée, ne peut se défendre.

Le harcèlement scolaire, qui peut prendre une forme verbale, physique, psychologique et/ou sexuelle, porte sur la notion de différence. La victime est autre, n’entre pas dans une norme ; sont ciblés :

  • l’aspect physique (enfant petit, maigre, gros, pâle, roux, portant des lunettes…) ;
  • le sexe, le genre, l’orientation sexuelle (un garçon jugé efféminé, une petite fille aux cheveux courts, trop masculine au goût de ses camarades…) ;
  • le handicap, physique et/ou mental ;
  • l’appartenance à un groupe social ou culturel ;
  • des centres d’intérêt différents.

Jadis, le harcèlement avait lieu dans l’enceinte de l’école et sa proximité. Aujourd’hui, il se propage via les réseaux sociaux (on parle alors de cyberharcèlement). Cela réduit considérablement l’espace de sécurité de la victime qui est poursuivie par ses harceleurs jusque dans sa chambre, par le biais de son smartphone, de son ordinateur. Les formes du cyberharcèlement sont multiples : on pense bien sûr immédiatement aux messages injurieux, aux menaces et chantages, à la diffusion de photos et de vidéos humiliantes ; on peut y ajouter la propagation de rumeurs, le piratage de comptes, la création d’une page sur un réseau social consacrée au harcèlement d’un élève.

État des lieux et statistiques

Le phénomène est bien plus répandu qu’on ne le pense. Et là, on dégaine les statistiques… proprement effarantes. Selon l’UNICEF, près de 150 millions d’adolescents ont été exposés à la violence dans l’univers scolaire. 1 élève de 13 à 15 ans sur 3 est victime de harcèlement. L‘Unesco fournit d’autres données tout aussi inquiétantes :

  • 1 élève sur trois âgé de 11 à 15 ans est harcelé au moins 1 fois par mois. 
  • 36 % des élèves ont déjà eu 1 altercation physique avec leurs camarades.
  • près d’1 élève sur 3 a été physiquement agressé au moins 1 fois dans l’année.
  • 1 enfant sur 10 est victime de cyberharcèlement. 

Et en France ? Les chiffres avancés par l’Unicef sont parlants :

  • 22 % des enfants se disent victimes dès l’âge de 7 ans.
  • 51 % des élèves âgés de 13 à 15 ans déclarent avoir été victimes d’intimidation à l’école au moins une fois au cours des deux derniers mois et / ou avoir été impliqués dans une bagarre physique au moins une fois au cours des 12 derniers mois.
  • 1 élève sur 4 de 18 ans explique avoir subi une forme ou une autre de harcèlement lors de sa scolarité.

D’avis général, c’est au collège que le harcèlement se généralise. Le site Education.gouv.fr apporte des précisions :

  • parmi les atteintes les plus fréquentes, on trouve les vols de fournitures scolaires (54 %), les surnoms désagréables (44 %), les insultes (43 %) et les mises à l’écart (43 %).
  • les violences physiques touchent plus les garçons que les filles.
  • les filles sont plus concernées par les mises à l’écart.

Une étude menée par l’Ifop pour l’association Marion la main tendue et publiée fin 2023 éclaire un peu plus le phénomène.

  • 35% des élèves handicapés sont concernés.
  • 28% des enfants roux sont visés.
  • 30% des élèves d’internat sont victimes.
  • le harcèlement a lieu généralement durant la récréation, mais il s’exprime aussi à 60% pendant la classe, à la cantine, durant les heures de sport, les sorties scolaires.

Enfin, et c’est le plus effrayant, 3 élèves sur 10, victimes d’une violence, en ont parlé à quelqu’un.  Ce qui signifie que 7 enfants sur 10 restent muets face au harcèlement, n’en parlent pas, vivent au quotidien avec cette peur larvée au ventre, sans compter les autres conséquences que cela entraîne.

Impacts et conséquences

Et c’est là qu’il faut rappeler avec la plus grande vigueur qu’être harcelé.e a forcément des conséquences graves et durables. L’impact est immédiat, les retombées terribles, et cela, sur le long terme. Un enfant harcelé va développer un stress traumatique qui va s’aggraver avec le temps. Cela se traduit de différentes manières :

  • des performances scolaires en baisse ;
  • le repli sur soi, l’isolement, le mutisme ;
  • une perte de l’estime de soi, un sentiment de culpabilité et d’impuissance ;
  • de l’anxiété chronique avec somatisation (maux de ventre et de tête, palpitations, crise d’angoisse…) ;
  • un impact important sur le métabolisme et les défenses immunitaires ;
  • des troubles du sommeil (insomnie, cauchemars…) ;
  • des troubles alimentaires ;
  • des troubles de l’humeur (agressivité, désespoir…) ;
  • de la dépression ;
  • de la phobie scolaire (30% des élèves atteints ont été victimes de harcèlement) et sociale.

Dans nombre de cas, l’enfant harcelé peut sombrer dans l’automutilation, les comportements à risques type consommation d’alcool et/ou de drogues, les pensées suicidaires (le risque de suicide est multiplié par 4). Et cela peut persévérer à l’âge adulte, avec ce que la thérapeute américaine Ellen Walser deLara appelle le « syndrome post-harcèlement à l’âge adulte » qui est très proche du syndrome de stress post-traumatique : difficultés dans les relations, phobie sociale, conduites addictives, dépression chronique…

Comment aider les victimes ?

Pourquoi préciser ce qui semble tellement évident ? Parce que cela ne l’est pas justement. J’ai eu l’occasion de travailler avec des patients adultes qui souffraient des retombées du harcèlement subi en milieu scolaire ; j’ai aussi eu à travailler avec des victimes adolescentes. Dans tous les cas, on constate le déni de la souffrance mentale et par des parents complètement perdus face à la situation et par des professeurs mal formés et dépassés par leurs obligations. Bien sûr, il y a des protocoles de prise en charge détaillés par le ministère de l’Éducation nationale, des signalements à faire auprès des directions d’établissement, des plateformes à alerter, des associations à contacter.

Mais il faut aussi aider la victime, et le plus vite possible pour stopper l’avancée des dégâts. Cela implique d’avertir le médecin traitant, d’en discuter avec lui afin de repérer les problèmes à gérer. Ensuite, il faut faire entrer dans la boucle les professionnels de santé mentale, psychiatre et/ou psychologue.

  • Ce dernier va intervenir pour aider à la formulation de la souffrance vécue et à son acceptation.
  • Il va travailler à l’expression des émotions, des ressentis, ce formidable sentiment d’injustice, cette terreur quotidienne.
  • À ces côtés, la victime va prendre conscience du processus mis en place, de la mécanique du harcèlement. Elle va progressivement en accepter l’existence tout en sortant de la culpabilité qui la ronge.
  • En parallèle, il va falloir travailler sur la reconquête de la confiance en soi et en autrui, sur l’affirmation de soi.
  • Le psychologue va aussi apporter des outils pour gérer le stress, la colère, la panique. La TCC peut s’avérer très efficace en l’état.

Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut surtout pas nier l’étendue de la souffrance mentale ressentie ni laisser la victime de harcèlement scolaire seule face à ses peurs, ses traumatismes. Les dégâts à court et à long terme sont beaucoup trop importants pour être négligés.

Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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