Nouvelle étape dans notre exploration des techniques de manipulation affective : le ghosting. Un phénomène spécifique qui tend à se généraliser… et qui s’avère bien dangereux quand il complète le love bombing et le gaslighting dans le kit de torture mentale du manipulateur. De quoi mettre en péril votre équilibre, votre santé physique et mentale. Explications.

Le ghosting, phénomène de mode ?

Dérivé du terme anglais « ghost » ou fantôme en français, le « ghosting » apparaît en 2015 dans le Collins English Dictionary en 2015 pour désigner l’acte de rompre brusquement toute communication avec une personne sans aucune explication ni préavis. Cela ne vous dit toujours rien ? Un petit exemple pour rendre la chose plus concrète ? Vous venez de faire une rencontre lors d’une soirée. L’attirance semble réciproque, on textote frénétiquement, on like les posts de l’autre sur Instagram, on se voit de plus en plus, on s’échange des mots d’amour, des déclarations intenses, les premiers baisers et plus si affinités… et puis plus rien. L’Autre est soudain aux abonnés absents.

Il/elle disparaît, ne répond plus au téléphone ni aux SMS, vous bannit de ses contacts Facebook, vous bloque sur son smartphone. Comme ça du jour au lendemain et sans explication aucune. Alors que c’était « lune de miel » dans vos cœurs, le match parfait. Bon, autant l’admettre, vous vous êtes fait ghoster. Et vous n’êtes pas un cas isolé. Car le « ghosting » est à la mode, si l’on en croit une étude Ipsos publiée très récemment à l’occasion de la Saint-Valentin 2024. On y découvre que :

  • 3 Français sur 4 ont déjà été victimes de ghosting.
  • 26 % des personnes interrogées pratiquent la chose de manière très régulière.

Il s’agit là du domaine amoureux, mais le ghosting tend à se répandre dans d’autres sphères, notamment dans l’entreprise. Une étude Indeed USA réalisée en 2021 met en évidence que :

  • 8 recruteurs sur 10 (83 %) ont déjà été ghostés par leurs candidats.
  • 1 candidat sur 2 seulement se présente à l’entretien d’embauche.
  • 1 candidat sur 5 accepte une offre d’emploi sans finalement se présenter le premier jour.

Et les entreprises ne sont pas en reste, toujours selon cette enquête :

  • 8 candidats sur 10 (77 %) déclarent avoir été ghostés par un recruteur lors d’une candidature.
  • Les employeurs américains déclarent n’être que 27 % à ne pas avoir ghosté un candidat.
  • 1 candidat sur 10 se voit ghosté même après avoir reçu une offre verbale.

Pourquoi ghoste-t-on ?

En résumé donc, le ghosting est en train de se répandre, de se démocratiser, de devenir une norme. Avec à la clé un constat pénible, mais indéniable : on peut aujourd’hui aussi bien être ghosté que ghosteur. Les arguments des usagers du ghosting méritent d’ailleurs qu’on s’y arrête. Plusieurs études se sont penchées sur les raisons des ghosteurs occasionnels ou réguliers et elles sont assez parlantes, notamment celle réalisée par le Thriving Center of Psychology en septembre 2023.

  • Première raison du ghosting, le désintérêt pour la relation en train de se développer.
  • Deuxième raison, le refus de confronter l’autre et ses demandes d’explication au moment de lui annoncer la rupture.
  • Également, le stress déclenché par les attentes amoureuses de l’autre, la peur de s’engager.
  • Les sursollicitations de l’interlocuteur amoureux, dont les demandes de communication sont intrusives, étouffantes (trop de SMS, de mails, d’appels…).
  • Le fait d’avoir été choqué.e par un comportement, un propos de l’interlocuteur.
  • Un contexte de maladie mentale.

Des raisons valables ? 75 % des personnes interrogées pensent que le ghosting est approprié dans certaines situations, 1 personne sur 3 ne voit pas où est le mal. 86 % admettent se sentir soulagés après avoir ghosté l’interlocuteur (91 % de femmes, 80 % d’hommes), 67 % ressentent de la culpabilité, 46 % du regret. Et cela vaut aussi dans le domaine de l’amitié comme dans celui de l’entreprise, comme en témoigne l’article « Fuite, contrôle ou protection : le ghosting expliqué par ceux qui le pratiquent » paru sur Slate.fr et qui donne la parole à des ghosteurs.

D’autres articles évoquent d’autres raisons : considérer l’autre comme inférieur, penser que la relation vécue est contraire à son destin, manquer d’outils de communication pour expliquer son refus… ou avoir été soi-même victime de ghosting.

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Ghosting, violence psychique et dégâts émotionnels

Ce phénomène est largement encouragé (et s’est d’ailleurs développé en parallèle de leur succès) par les moyens de communication numériques : on cesse juste de répondre à la personne qu’on ghoste, on la bloque sans lui expliquer le pourquoi de cette rupture. Or cela n’a rien d’anodin, c’est même considéré comme une forme de violence psychologique, avec des effets émotionnels dévastateurs.

  • Le ghosting viole les normes sociales de communication et de respect mutuel. Il est généralement considéré comme une manière lâche et peu respectueuse de mettre fin à une relation, ce qui peut entraîner des sentiments de colère, d’injustice chez la personne ghostée.
  • Le ghosting provoque souvent une profonde douleur émotionnelle chez la personne qui en est victime. Être ignoré ou rejeté sans explication entraîne des sentiments de tristesse, de confusion, de rage.
  • Le ghosting prive la personne concernée de clôture émotionnelle. Sans explication ou conversation de clôture, la personne peut se sentir incapable de comprendre ce qui s’est passé ou de faire son deuil de la relation. C’est une immense déception.
  • Être ghosté peut entraîner une baisse de l’estime de soi. La personne peut se demander ce qu’elle a fait de mal pour mériter un tel traitement, ce qui peut nuire à la perception qu’elle a de sa propre valeur.
  • Les relations affectives futures de la victime en seront forcément impactées, avec une méfiance constante, des doutes, un refus de l’engagement.

L’incertitude qui découle de ce silence peut dans certains cas alimenter de la rumination mentale, des pensées obsessives durant lesquelles la personne ghostée va évoquer en boucle les différentes situations vécues, afin de comprendre ce qui a pu dégénérer et provoquer cette disparition. La rancœur, la frustration, le stress vont s’accumuler, tournant à la torture mentale, à l’anxiété chronique, parfois à la dépression.

Le ghosting, un redoutable moyen de manipulation

Bref, le ghosting peut faire pas mal de dégâts chez celui ou celle qui en est victime…, surtout quand c’est un manipulateur qui en use pour développer son emprise sur une victime. Jusqu’à présent, nous évoquions un usage disons classique du ghosting. Or, il s’avère que c’est aussi un redoutable outil de manipulation émotionnelle, un élément clé dans la stratégie du manipulateur visant à contrôler ou punir l’autre personne. Il peut être utilisé pour exercer un pouvoir sur quelqu’un en lui faisant ressentir l’angoisse d’une potentielle séparation imposée comme une menace.

  • En ghostant après notamment la période de love bombing, le manipulateur ou la manipulatrice coupe brutalement la communication, créant alors un vide incompréhensible. Il/elle prend alors le contrôle de la situation, dictant sa volonté, faisant sentir à l’autre le manque, le noyant dans la sidération, la culpabilité, la souffrance mentale.
  • Le ghosting est ainsi utilisé comme un moyen de démontrer son pouvoir sur l’autre. En laissant l’autre dans l’incertitude, en l’obligeant à se demander ce qui s’est passé, le manipulateur/ghosteur exercer un contrôle émotionnel d’une rare puissance sur la victime.
  • Le ghosting intervient dans la manipulation des émotions de l’autre, fondée sur la confusion et l’angoisse. Il est ainsi plus aisé de dicter à la victime la réaction désirée comme une manière de rompre le ghosting (si tu penses ça, te comportes comme ça, réagis comme ça, je reviendrai). C’est le point de départ d’un chantage affectif odieux.
  • Le ghosting s’avère alors une forme de punition passive-agressive. Plutôt que de confronter ouvertement un problème ou un conflit, la personne qui ghoste choisit de punir l’autre en l’ignorant complètement, c’est d’ailleurs une des facettes du gaslighting.
  • Le manipulateur qui ghoste s’offre aussi le luxe de se déresponsabiliser, laissant entendre que son silence soudain est provoqué par l’autre.

Phénomène de plus en plus répandu dans un monde ultraconnecté, le ghosting n’est jamais anodin, surtout quand il intervient dans un contexte de manipulation mentale. Les dégâts psychologiques qu’il peut alors occasionner sont terribles, impactant la santé mentale et le bien-être général de la victime qui y est exposée.

Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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