Gaslighting : le mot est tendance, et cela fait peur. S’il désigne typiquement un outil d’endoctrinement sectaire, c’est aussi une des armes favorites du manipulateur pervers narcissique. On frémit quand on consulte le taux de recherche de ce mot clé sur Internet : plus d’un million de requêtes par mois aux USA ou en Australie, 22500 environ en France. Réalité sordide ? Effet de mode ? De quoi s’agit-il vraiment ? Comment cela se traduit-il ? Quels effets sur la santé mentale ? Comment s’en sortir ? Voici quelques pistes pour mieux comprendre ce phénomène. 

Une lumière qui s’estompe

Commençons par une définition. Le « gaslighting », ou détournement cognitif selon les Canadiens, est une forme de manipulation psychologique qui vise à faire douter une personne de sa propre réalité. Modifier des informations, nier des événements, changer les faits, le « gaslighter » opère un contrôle complet sur sa victime en alimentant son incertitude et sa confusion, en lui faisant croire que sa perception de la réalité est erronée. L’origine du terme même est particulièrement parlante. L’expression est inspirée de Gaslight réalisé par George Cukor en 1944.

Adapté de la pièce de théâtre Angel Street de Patrick Hamilton datée de 1938, ce film célèbre (intitulé Hantise en version française) relate la manière dont un mari manipulateur et criminel (Charles Boyer) tente de faire passer sa femme (Ingrid Bergman) pour folle, afin de la dépouiller. La tournure « gaslighting » désigne le moment où la lumière au gaz s’estompe dans la maison du couple, quand l’époux part en quête du trésor caché qu’il compte dérober à sa compagne. 

Une torture psychologique

Progressivement, les psychologues se sont emparés du terme pour nommer une technique de manipulation spécifique, particulièrement bien décrite dans le film de Cukor. Le manipulateur va égarer sa victime en brouillant très profondément sa perception du réel. Mensonges, déformations, déclarations contradictoires se multiplient subtilement, afin d’amener l’interlocuteur à douter de tout ce qu’il a perçu, entendu, dit. Ce sont de petites phrases anodines du type « Mais tu te trompes, je n’ai jamais dit ça », « Non, tu confonds », « Je ne t’ai jamais promis de faire ça »… L’interlocuteur, étonné, va d’abord laisser faire, tout le monde peut effectivement se tromper. Puis, il va perdre pied, piégé dans cette inversion des rôles, le bourreau se victimisant, transformant sa proie en responsable

Et quand celle-ci réagit, rétorque, fournissant des preuves de ce qu’elle a avancé, le gaslighter nie. Viennent alors des remarques comme « Tu es trop susceptible, tu exagères » « Mais pourquoi tu te mets en colère ? Avec toi, c’est toujours un vrai drame. » Suivront les « ce qui arrive, c’est ta faute », « tu es nul/faible, sans volonté ». Critiques constantes, moqueries blessantes, insultes, menaces, isolement, la violence verbale s’installe, tandis que le manipulateur va s’ériger en souffre-douleur, répétant sans cesse que ce qui arrive est la faute de celui ou celle qu’il torture. Car le gaslighting est une véritable torture psychologique, avec des conséquences effrayantes.

Sortir de l’emprise psychologique

La victime de gaslighting va d’abord se retrouver en état de doute permanent. Isolée, elle s’épuise psychiquement, émotionnellement, physiquement. Soumise à un véritable lavage de cerveau, elle est coupée du réel, s’éloigne de ses proches, se persuade d’être sans valeur, sans volonté. Elle s’efface complètement, se nie, oublie ses passions, ses penchants, ce qui fait sa singularité. Elle peut devenir paranoïaque, violente, entrer en dépression, multiplier les crises de panique, développer des pathologies consécutives à ce stress permanent, cette usure des nerfs. Ajoutons à cela la culpabilité, la honte : on comprend mieux pourquoi certaines personnes soumises au gaslighting se retrouvent en soins psychiatriques. Car il est très difficile de sortir de cette véritable emprise psychologique.

Ce type de perversion peut s’installer dans des relations familiales, entre un parent et un enfant par exemple, dans un couple, une relation amicale, au travail aussi. La victime subit parfois ce traitement depuis des années, avec un impact négatif sur sa confiance en ses capacités, sa légitimité, sa valeur. La première étape va donc consister à prendre conscience de la situation et à l’accepter. Et c’est un processus particulièrement douloureux qui suppose très souvent une rupture complète avec le gaslighter. Il faut s’extraire de son emprise au plus vite. C’est une transformation conséquente, un saut dans le vide. On perd ses repères, on se retrouve seul, il faut renouer avec l’extérieur, ses proches, ses amis, tous ceux que le manipulateur a pris soin d’éloigner au fil du temps et des mensonges. C’est primordial pour retrouver son équilibre et se protéger.

Une stratégie sournoise

La victime va aussi devoir s’identifier comme telle, se reconstruire à partir de ce constant, retrouver ses valeurs, s’affirmer de nouveau, retrouver confiance, réinvestir dans sa personnalité, repositionner ses limites ; il va falloir travailler sur la honte et la culpabilité qu’on ressent, le repli, la difficulté d’expression, le fait de réaffirmer ses jugements, ses convictions. Il va surtout falloir arrêter d’excuser le gaslighter, et c’est souvent le plus compliqué, car ce dernier a mis en place une mécanique vicieuse où il trouve toujours à expliciter son comportement par les fautes de sa victime. De fait, le travail sur l’expression des émotions va être déterminant ; il va falloir mettre des mots sur chaque ressenti pour réinvestir ces pensées qui ont été écrasées, laminées.

Communication paradoxale, déni de la réalité, actes qui contredisent les paroles, les promesses, fautes projetées sur la victime, entourage retourné contre soi, le gaslighting est une stratégie d’autant plus efficace qu’elle est sournoise et inscrite sur le long terme. On peut être sûr de soi, vigilant, équilibré, il suffit d’un passage à vide, d’une fatigue, d’une période de fragilité. Voilà pourquoi il importe de recourir à un professionnel de la santé mentale ; si les proches peuvent apporter leurs conseils, leur aide concrète, il faut s’adresser à un expert pour démonter la logique de cette méthode, comprendre comment elle s’est mise en place, les dégâts qu’elle a engendrés, mettre en place les bonnes parades pour réapprendre à s’estimer. 

Bref, il va falloir du temps, de la patience, de la pratique pour sortir de cette emprise, retrouver de l’équilibre, de l’assurance, cicatriser les blessures psychiques profondes qu’elle a occasionnées. Si vous vous retrouvez dans cet article, si vous êtes victime de gaslighting, si vous connaissez quelqu’un dans votre entourage qui en souffre, n’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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