Accessible, largement démocratisée, la routine soin de la peau (également appelée skincare) occupe aujourd’hui une place centrale dans la quête de bien-être et d’apparence. Mais parfois, cette quête bascule du soin vers la compulsion. C’est ce que décrit la « dermorexie » : une fixation excessive et néfaste sur l’état cutané, marquée par des comportements répétitifs, des rituels imposants et une souffrance psychique souvent peu reconnue.
Qu’est-ce que la « dermorexia » ?
Le terme anglais « dermorexia » a été popularisé par la journaliste Jessica DeFino dans sa newsletter The Review of Beauty. Elle le définit comme « un ensemble de comportements obsessionnels envers les soins de la peau, facilités et encouragés par l’industrie du soin cutané ».
Dans ce cadre, des usages particulièrement contraignants et stressants sont développés, voire encouragés. Quelques exemples typiques de ces pratiques : chronométrer l’application des soins au milliseconde près, vérifier sa peau plusieurs fois par jour, multiplier les produits et étapes sans nécessité dermatologique, ressentir une angoisse intense en cas d’interruption de la routine.
Même si la dermorexie n’est pas (encore) une catégorie diagnostique officielle, les professionnels et la littérature scientifique soulignent son rapprochement avec le Body Dysmorphic Disorder (BDD ou dysmorphophobie en français) ou des comportements compulsifs liés à l’apparence, dixit un article de The Observer.
Dans quel contexte ce trouble s’est-il développé ?
Plusieurs facteurs convergent qui expliquent cette émergence :
- L’essor de l’industrie des soins de la peau, alimentée par les réseaux sociaux, les influenceurs “skinfluencer”, les routines multi-étapes alimente une importante pression sociale quant à l’exigence d’une peau “parfaite” (dazeddigital.com).
- La pandémie de Covid-19 a amené toute une population à se rediriger vers le soin personnel, les écrans, et l’obsession de l’image ( zoom, filtres, hyper-visibilité du visage).
- Une culture de la performance esthétique se développe : la peau y constitue un “projet” à optimiser, corriger, contrôler — en lien avec des phénomènes déjà identifiés comme l’orthorexie (obsession de la « bonne » alimentation) ou la bigorexie (obsession de la “bonne” musculature).
Comment se traduit la dermorexie ?
Voici les signes observés et ils sont assez frappants :
- Un rituel cutané très long, très chargé en étapes, avec multiplication de produits, appareils, traitements. (nss G-Club)
- Une angoisse notable à l’idée de “louper” la routine, ou de ne pas être capable de l’appliquer (voyage, fatigue, contraintes).
- Une surveillance excessive de sa peau : micro-défauts interprétés comme catastrophiques, vérification constante dans le miroir, dans les photos, évitement de certaines situations à cause de l’apparence.
- Un usage cumulatif de produits actifs ou agressifs (acides, rétinoïdes, traitements avant l’âge, injections) sans réel besoin dermatologique, au risque d’irritation, de fragilisation de la barrière cutanée, voire d’effets secondaires.
- Une dimension financière souvent sous-estimée : dépenses répétées, endettement, achats compulsifs à visée esthétique (The Observer).
Effets néfastes et dangers (physiques et psychiques)
Pareils symptômes s’accompagnent d’effets négatifs sur les plans physique ET psychique.
Effets physiques :
- Irritation cutanée, rougeurs, dérèglement de la barrière protectrice de la peau.
- Problèmes dermatologiques aggravés : acné, rosacée, sensibilité accrue, réactions allergiques.
- Risques liés aux traitements esthétiques invasifs ou mal indiqués chez des jeunes ou non-conseillés.
Effets psychiques :
- Anxiété chronique liée à l’apparence, sentiment d’inadéquation, honte, perte d’estime de soi.
- Risque de glisser vers un trouble du type BDD (obsession de la “défectuosité”), isolement social, parfois comportements auto-agressifs.
- Fatigue mentale liée à la gestion permanente du rituel, culpabilité de ne pas être “assez bien”, interruption des loisirs ou de la vie sociale.
- Difficulté à accepter le vieillissement, la texture normale de la peau, la variation corporelle.
Quand s’inquiéter ?
Il convient de consulter un psychologue ou un professionnel de la santé mentale si :
- La routine soin monopolise un grand nombre d’heures quotidiennes et prend le pas sur sur d’autres activités.
- On évite des relations, des sorties, ou on modifie son emploi du temps de façon significative pour respecter la routine ou parce que la peau n’est pas jugée parfaite.
- On ressent une forte détresse (angoisse, honte, culpabilité) à l’idée de ne pas pouvoir l’appliquer.
- Les soins provoquent une souffrance physique ou aggravent l’état cutané.
- Il y a dépenses importantes et répétées malgré le constat d’inefficacité ou d’aggravation.
Comment un psychologue peut-il aider ?
L’accompagnement psychologique vise à :
- Mettre en mots la souffrance liée à l’apparence et la routine : identifier ce que masque l’obsession (anxiété, contrôle, vulnérabilité).
- Travailler sur l’estime de soi, l’acceptation de l’imperfection, la tolérance à l’incertitude (ex. : “Ma peau ne va pas changer tout de suite, et c’est ok”).
- Repérer les fonctions que remplit la routine compulsive : gestion de l’anxiété, compensation, mise à distance de l’émotion.
- Introduire des alternatives : limites à la routine, réduction progressive, focus sur le soin comme bien-être (et non punition esthétique).
- Collaborer avec d’autres professionnels si besoin : dermatologue, médecin esthétique, psychiatre, selon les dommages physiques ou troubles associés.
La dermorexie correspond à une dérive. Si le soin de soi est valorisé et valorisant, il devient menace quand il tourne à l’obsession. Reconnaître qu’une routine “soin” peut cacher une souffrance psychique, c’est ouvrir la possibilité d’une relation à soi plus saine. Car prendre soin de sa peau, c’est aussi prendre soin de son esprit.
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