On en parle peu, pourtant elle constitue un moment clé dans le processus de burn-out : la culpabilité est une résultante du burn-out… et aussi un symptôme de l’épuisement professionnel qu’il faut neutraliser. Comment cela se traduit-il ? D’où vient ce sentiment ? Comment s’en débarrasser ?
L’arrêt de travail, révélateur de la culpabilité
La culpabilité survient dès qu’on évoque l’arrêt de travail qui est un véritable révélateur : beaucoup de personnes refusent d’être arrêtées contre l’avis de leur médecin, alors qu’elles n’en peuvent plus, que leur santé est défaillante. Pourquoi ? Parce que jusqu’à présent, elles ont tenu le coup, qu’elles sont censées être fortes, investies : d’excellents professionnels qui placent leur probité et leur efficacité au travail en tête de la liste de leurs valeurs. Les faiblesses du corps ? On ne les écoute pas, il faut aller de l’avant, le travail avant tout.
Jusqu’au jour où le corps dit non : cela peut être un malaise, un évanouissement, l’incapacité physique de se lever, une crise de panique ou de larmes, plusieurs nuits d’insomnie. On part consulter son médecin et là, le couperet tombe : épuisement professionnel, burn-out, arrêt de travail. Pour une, deux, trois semaines, parfois un mois, voire plusieurs. Avec toute une batterie d’examens médicaux pour faire le point sur l’état du corps, les dommages physiques engendrés.
Mais ce n’est pas ce qui vous inquiète dans l’immédiat ; ce qui vous angoisse, là, tout de suite, avec votre arrêt de travail en main, c’est de devoir annoncer la chose à votre équipe et à votre manager. Parce que vous ne pouvez plus vous cacher la chose, le corps a parlé : vous êtes complètement vidé comme une pile déchargée de son énergie, une batterie à plat. Et vous pouvez faire fi de cet arrêt de travail, vouloir retourner malgré tout à votre poste : le corps parlera de nouveau, pire, il criera. Et vous serez alors obligé de tout stopper. Et vous en aurez honte.
La culpabilité, corollaire du burn-out
Car la culpabilité va de pair avec le burn-out, elle en est un corollaire presque logique. De retour chez vous, avec votre arrêt de travail, vous allez commencer à vous questionner : qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour me retrouver dans cet état ? Comment j’ai pu ne pas voir les signes ? Pourquoi n’ai-je pas réagi à temps ? Ces questions vont aller de pair avec la conviction que vous n’êtes pas assez et trop :
- pas assez fort et endurant pour faire face à la charge de travail ;
- pas assez organisé et rigoureux dans votre manière de gérer les tâches, les dossiers et les réunions ;
- pas assez bon et compétent pour réaliser vos missions avec brio et créativité.
- trop perfectionniste pour accomplir convenablement votre travail dans les temps ;
- trop sensible et trop faible pour affronter la réalité professionnelle ;
- trop épuisé et trop malade pour continuer à faire front au côté de votre équipe.
Sentiment d’incapacité et de honte, conviction que vous abandonnez vos collègues désemparés, la culpabilité croît au fil des journées d’arrêt de travail durant lesquelles vous êtes censé justement vous reposer, faire le vide, récupérer. Vous vous en voulez, vous vous angoissez, vous paniquez : quand vous chiffrez la perte de salaire, le manque d’argent, quand vous évoquez votre retour au travail avec la peur de craquer de nouveau, quand vous vous comparez aux autres qui, eux, tiennent la route, et doivent vous considérer comme un nul, un faible.
Peur du regard d’autrui, du jugement de ses supérieurs, de ses proches également, la culpabilité du pauvre erre frappé de burn-out est largement alimentée par la société, les médias, l’éducation : il faut travailler plus pour avoir plus, être endurant, compétitif, émotionnellement et physiquement endurci, les salariés qui se mettent en arrêt maladie sont des feignants et des fumistes… La pression est énorme, et les chiffres alarmants : en 2018, une étude sur l’absentéisme au travail réalisée par l’Ifop a mis en évidence que :
- 42 % des salariés du privé s’étaient vu prescrire au moins un arrêt de travail par leur médecin ;
- 23 % d’entre eux ont choisi d’y renoncer en totalité ou partiellement, soit 1 employé sur 4 ;
- sont particulièrement concernés les dirigeants d’entreprise, les cadres, les employés des secteurs de la vente, de l’hôtellerie et de la restauration.
- 1 personne interrogée sur 2 regrette rétrospectivement d’avoir refusé de se mettre en arrêt.
Face à la culpabilité, il faut comprendre et s’interroger
Incontournable dans un contexte social où l’activité professionnelle est signe d’émancipation et de réussite, la culpabilité face au burn-out et ses retombées ajoute une tension supplémentaire à gérer pour la personne mise au repos. Énergivore, anxiogène, la conviction d’avoir commis une faute est surtout totalement inutile et parfaitement inepte car injustifiée. Pour en sortir, il va falloir à la fois comprendre, prendre du recul et s’interroger. Cela passe par plusieurs phases.
• Sortir du déni et accepter la réalité de l’arrêt de travail qui a été imposé par un médecin après une consultation, donc sur avis d’un scientifique et d’un soignant qui juge nécessaire que vous vous reposiez.
• Relativiser les choses. Au début, c’est très complexe, mais au fil des jours, vous allez constater que votre entreprise continue visiblement à fonctionner sans vous, que votre équipe se débrouille très bien toute seule, que votre supérieur hiérarchique qui vous a taxé d’un « mais tu ne peux pas me lâcher en ce moment, il y a trop de commandes à gérer ! » ou d’un « je n’ai personne pour te remplacer, tu es la seule à connaître le dossier et le client » et vous conjurait de revenir au plus vite a finalement trouvé une solution.
• Comprendre la mécanique du burn-out en général et de SON burn-out en particulier, afin d’identifier les différentes étapes qui ont conduit à cet épuisement généralisé. Ce processus d’analyse est essentiel pour mettre progressivement sa culpabilité à distance.
• Cerner son propre positionnement face au travail et à la vie en général : pourquoi ce perfectionnisme, pourquoi cette rigueur, cette volonté de tout faire, cette incapacité à dire non alors que les taches s’accumulent ? Cette frénésie de réalisation ? Pourquoi cette conviction ancrée de ne pas être capable, de ne jamais faire assez bien, de ne jamais être à la hauteur des attentes d’autrui, de ne jamais faire plaisir assez ?
• Se recentrer, s’interroger sur ses valeurs profondes, ce qu’on attend de la vie : veut-on continuer sur ce rythme frénétique ? Que désire-t-on privilégier ? Et comment ?
• Poser de nouvelles limites… et s’y tenir.
Bref, il s’agit de mettre à profit cette période de repos pour recharger les batteries, soigner son corps et son esprit, repenser ses choix de vie. Apprendre à décrypter les signaux d’alarme qu’envoie le corps quand on est en surcharge, mettre en place des parades, et surtout ne plus culpabiliser. Cela s’apprend progressivement, cela ne se fait pas sur un claquement de doigts, il faut se laisser du temps pour y parvenir, mais une fois que c’est acquis, c’est absolument bénéfique, une véritable renaissance.
Petit plus pour celles et ceux qui se rongent face à l’arrêt de travail : quand un sportif se blesse, on le met totalement au repos pour qu’il récupère ; si on le renvoie trop tôt en compétition, sa blessure ne se guérira pas, pire elle s’aggravera, avec un risque de séquelles irréversibles. Eh bien, vous qui êtes en plein burn-out, vous êtes comme ce sportif blessé ; si vous ne vous reposez pas, votre santé va s’aggraver. Si vous voulez repartir travailler, vous devez faire un break.
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