Les anxiolytiques, aussi appelés benzodiazépines, sont parmi les médicaments psychotropes les plus prescrits en France. Prévus pour être prescrits à court terme, ils soulagent l’anxiété, favorisent le sommeil, apaisent les tensions internes. Mais leur efficacité a un revers : lorsqu’ils sont pris trop longtemps, le corps et le cerveau s’y habituent. Alors, comment les arrêter sans risque ? Que se passe-t-il dans l’organisme ? Quels symptômes peuvent apparaître ? Comment une psychothérapie peut-elle accompagner ce processus souvent difficile ?
Les anxiolytiques : rôle, mécanisme et effets
Les principaux anxiolytiques appartiennent à la famille des benzodiazépines (diazépam, alprazolam, lorazépam, bromazépam, etc.) ou à des molécules apparentées comme les hypnotiques de type zopiclone ou zolpidem.
Ces médicaments sont prescrits par un médecin généraliste ou un psychiatre, parfois en relais d’une prise en charge hospitalière. Ils sont indiqués pour traiter des troubles anxieux aigus, des attaques de panique, certains troubles du sommeil, ou encore des états de stress intense liés à un deuil, une opération, un burn-out ou un épisode dépressif.
Leur action repose sur un mécanisme simple : ils renforcent l’effet du GABA, un neurotransmetteur inhibiteur qui agit comme un frein naturel du cerveau. En clair, ils calment les circuits de la peur, de l’alerte et de la tension musculaire. Leur efficacité est généralement rapide, ce qui les rend utiles pour stabiliser une situation de crise ou aider à la reprise d’un traitement de fond (par exemple, un antidépresseur).
Mais pris sur une longue période, l’organisme finit par s’adapter à cette stimulation externe : les récepteurs GABA deviennent moins sensibles, et le cerveau compense en accélérant d’autres circuits excitateurs (glutamate, noradrénaline). Résultat : quand on diminue ou qu’on arrête le médicament, l’équilibre chimique se rompt et le système nerveux réagit — d’où les symptômes de manque ou d’hyperexcitabilité observés lors du sevrage.
C’est ce phénomène d’adaptation progressive qui explique pourquoi ces médicaments ne doivent pas être pris indéfiniment, et pourquoi l’arrêt nécessite un accompagnement médical et psychologique soigneusement planifié.
Dans quel cadre arrêter les anxiolytiques ?
En effet cet arrêt ne doit jamais découler d’une décision impulsive. Cette étape importante se prépare avec le médecin ou le psychiatre prescripteur, parfois en lien avec un psychologue.
Le bon moment dépend toujours de plusieurs facteurs : la durée de traitement, l’état psychique actuel, la stabilité de la vie quotidienne, et la capacité à gérer le stress autrement.
Pourquoi envisager l’arrêt ?
Les anxiolytiques ont une vraie utilité à court terme : ils permettent de traverser une crise, de dormir à nouveau, ou de reprendre le contrôle émotionnel.
Mais à long terme, leur efficacité diminue, tandis que les risques augmentent :
- Accoutumance : le cerveau s’habitue à la molécule et en réclame davantage pour obtenir le même effet.
- Dépendance physique et psychique : l’arrêt brutal provoque des symptômes de manque.
- Altération du sommeil naturel, de la mémoire, de la concentration.
- Troubles de l’humeur ou fatigabilité accrue.
- Et parfois, atteinte du foie ou interactions médicamenteuses.
Le sevrage n’est donc pas seulement une contrainte : c’est une mesure de santé. Arrêter, c’est redonner de la souplesse au système nerveux, restaurer la capacité du corps à s’apaiser seul, et retrouver de la confiance dans ses propres ressources.
Quand envisager l’arrêt ?
On peut envisager de réduire le traitement lorsque :
- l’anxiété est stabilisée depuis plusieurs mois,
- la situation de vie est plus calme,
- le patient dispose d’outils concrets pour gérer les tensions (respiration, relaxation, psychothérapie, activité physique),
- et surtout, quand il ne dépend plus du médicament pour dormir ou se rassurer.
C’est souvent une discussion partagée : le patient exprime son envie d’arrêter, le médecin évalue le bon moment, et ensemble ils établissent un plan progressif, parfois sur plusieurs mois.
Comment préparer l’arrêt ?
La décision repose sur trois axes :
- L’accord entre patient et médecin, sans pression, sans culpabilité, avec un objectif commun, à savoir la stabilité.
- L’évaluation du terrain psychique : anxiété encore forte, dépression non traitée, stress persistant sont autant de signaux qu’il faut d’abord consolider le travail psychothérapeutique.
- La mise en place d’un accompagnement avec suivi médical régulier, séances de soutien psychologique, hygiène de vie apaisante.
Ce n’est pas “tout ou rien” : on peut réduire, stabiliser, réévaluer. L’important n’est pas la vitesse, mais la sérénité du parcours.
Arrêter : une étape symbolique
Au-delà de la dimension biologique, l’arrêt marque souvent un passage psychologique : celui du retour à l’autonomie.
C’est la fin d’une période de crise, la preuve que l’équilibre émotionnel peut être retrouvé sans aide chimique.
C’est aussi, pour beaucoup de patients, un moment de fierté et de confiance retrouvée.
Anticiper le syndrome de sevrage
C’est là le hic. Il faut s’y attendre, s’y préparer : l’arrêt des anxiolytiques peut entraîner une réapparition temporaire de l’anxiété d’origine, mais aussi des manifestations physiques liées au manque. C’est ce qu’on appelle le syndrome de sevrage, un processus de rééquilibrage neurochimique qui se produit lorsque le cerveau doit réapprendre à réguler seul ses mécanismes de détente et d’alerte.
Pendant plusieurs mois ou années, le système nerveux a fonctionné avec un soutien externe — celui des benzodiazépines, qui renforcent l’action du GABA, un neurotransmetteur calmant. Quand ce soutien disparaît, même progressivement, le cerveau peut réagir par un effet rebond : irritabilité, agitation, troubles du sommeil, hypersensibilité, parfois anxiété accrue. Ces réactions ne sont pas des signes de rechute, mais le reflet d’une adaptation biologique : le système GABA doit retrouver son autonomie, et cela prend du temps.
ATTENTION : cette difficulté ne traduit ni une dépendance morale, ni une “faiblesse psychologique”. Le sevrage n’est pas un échec, mais un travail de rééducation du système nerveux : les récepteurs qui étaient “endormis” se réactivent, le corps se réorganise, le psychisme réapprend à se stabiliser sans béquille chimique. Avec un accompagnement adapté — médical, psychothérapeutique et comportemental — cette phase de transition devient plus tolérable. L’objectif n’est pas d’aller vite, mais de retrouver un équilibre durable, où le calme intérieur ne dépend plus d’un médicament, mais de ressources internes progressivement renforcées.
Les symptômes possibles du sevrage
Anticiper le syndrome de sevrage implique avant tout d’en identifier les signes. Les symptômes varient selon la molécule, la durée de traitement, la dose, la vitesse de sevrage et la vulnérabilité individuelle. Ils apparaissent généralement 24 à 72 heures après la diminution ou l’arrêt (plus tard pour les molécules à demi-vie longue). Ils sont physiques et psychiques.
Symptômes physiques :
- Tremblements, sueurs, palpitations
- Sensation de vertige, nausées, troubles digestifs
- Maux de tête, tensions musculaires
- Insomnie, hypersensibilité au bruit ou à la lumière
- Crises d’angoisse, sensation de “déconnexion”
- Dans les cas graves : confusion, convulsions (d’où la nécessité d’un suivi médical strict)
Symptômes psychiques :
- Retour ou amplification de l’anxiété
- Irritabilité, agitation, hypervigilance
- Périodes de déprime, sentiment d’insécurité
- Difficulté à se concentrer, cauchemars, fatigue extrême
Rappelons que ces symptômes ne signifient pas que “tout va recommencer comme avant” : ils traduisent l’adaptation progressive du cerveau à une nouvelle régulation interne. Mais cette phase peut s’avérer difficile à vivre, entraver la vie professionnelle, familiale ou sociale. Chez certaines personnes, cette fragilité temporaire peut raviver des peurs anciennes ou entraîner une rechute anxieuse si le sevrage est trop rapide ou mené sans soutien.
C’est pourquoi un accompagnement étroit — médical, psychologique et comportemental — est indispensable.
Un rythme de réduction bien adapté, des repères stables et un espace d’écoute permettent de limiter les symptômes, de prévenir les rechutes et d’ancrer durablement la confiance retrouvée.
Pourquoi il ne faut JAMAIS arrêter seul et brutalement
Voici pourquoi l’arrêt brutal des anxiolytiques est dangereux. Le corps a besoin de temps pour réapprendre à produire et réguler naturellement le GABA.Un arrêt bien planifié évite les complications, diminue les risques de rechute et permet une réadaptation en douceur du système nerveux. La progressivité n’est pas un signe de faiblesse, mais la condition même d’un sevrage réussi et durable.
C’est pourquoi les spécialistes comme les autorités de santé (HAS, ANSM, OMS) recommandent toujours un sevrage progressif, avec des paliers espacés, une surveillance médicale, et un accompagnement psychothérapeutique parallèle.
Le sevrage encadré repose sur :
- Un plan de réduction individualisé, établi par le médecin prescripteur ou le psychiatre.
- Une évaluation de la tolérance à chaque étape.
- La surveillance des signes de manque, somatiques et psychiques.
- Un accompagnement psychothérapeutique, pour gérer les effets psychiques du retrait.
Certaines équipes hospitalières ou structures spécialisées (centres de sevrage, CMP) proposent un accompagnement progressif, parfois avec relais médicamenteux temporaire (antidépresseur, mélatonine, hydroxyzine… selon le cas).
Les protocoles de sevrage
Il n’existe pas un seul protocole, mais des principes généraux :
- Stabiliser la dose quotidienne avant toute réduction.
- Diminuer de 10 à 25 % la dose toutes les 2 à 4 semaines, selon la tolérance.
- Ralentir le rythme à mesure qu’on s’approche de la fin.
- Changer de molécule si besoin vers une benzodiazépine à demi-vie plus longue (ex. diazépam) pour réduire les à-coups.
- Soutenir le patient psychologiquement tout au long du processus.
- Ne jamais substituer un sevrage médicamenteux par l’automédication ou l’arrêt brutal.
Il faut bien comprendre que chaque sevrage est unique : il dépend du type d’anxiolytique, de la durée de prise, de l’âge, du terrain anxieux et des comorbidités (dépression, insomnie, troubles somatiques…).
Par ailleurs, la durée dépend du médicament et du corps de chacun. En moyenne :
- Pour une benzodiazépine à action courte (alprazolam, lorazépam), la phase aiguë dure de 2 à 6 semaines.
- Pour une molécule à action longue (diazépam, clorazépate), le processus peut s’étendre sur plusieurs mois.
Mais au-delà du sevrage biologique, la réadaptation psychologique peut prendre plus de temps : il faut apprendre à vivre sans l’effet immédiat du médicament, à tolérer les émotions et les incertitudes.
Le rôle du psychologue dans l’arrêt des anxiolytiques
En effet, le sevrage médicamenteux n’est pas seulement une affaire de prescription ; c’est aussi une expérience psychologique profonde. Une psychothérapie jouera un rôle essentiel à plusieurs niveaux.
Comprendre les causes de la dépendance
Beaucoup de patients n’ont pas seulement pris un médicament : ils ont appris à s’y accrocher pour calmer la peur.
La psychothérapie aide à reconnaître ce lien symbolique et à construire d’autres repères d’apaisement.
Gérer le retour des émotions
Le corps retrouve une sensibilité émotionnelle plus vive.
La thérapie aide à accueillir ces sensations sans panique, à nommer l’angoisse, à la replacer dans son contexte, plutôt que de la fuir.
Prévenir les rechutes
Le sevrage peut réveiller de vieux schémas anxieux. Un travail psychothérapeutique — qu’il soit TCC, psychodynamique, ACT, ou intégratif — aide à
- identifier les déclencheurs,
- renforcer la tolérance à l’inconfort
- retrouver confiance dans ses capacités de régulation.
Réapprendre l’autonomie
Sortir d’un traitement prolongé, c’est souvent retrouver la sensation d’être acteur de sa santé. La thérapie soutient cette reconquête de soi : écouter son corps, retrouver des rythmes, s’autoriser à vivre sans béquille chimique.
Fournir des outils d’accompagnement
- Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) pour apprendre à identifier et corriger les pensées anxiogènes.
- Thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) pour renforcer la tolérance à l’anxiété et sortir du contrôle permanent.
- Relaxation, cohérence cardiaque, méditation de pleine conscience en complément, pour aider à calmer le système nerveux autonome.
- Groupes de parole ou accompagnement familial pour ne pas vivre le sevrage dans l’isolement.
- Suivi médical coordonné entre le médecin généraliste, le psychiatre et le psychologue.
En résumé
Ce qu’il ne faut SURTOUT pas faire
- Arrêter du jour au lendemain.
- Changer seul les doses ou les horaires.
- Se tourner vers des substituts non encadrés (alcool, cannabidiol, automédication).
- Culpabiliser en cas de rechute : un sevrage est souvent non linéaire, avec des allers-retours avant la stabilisation.
- Croire qu’il faut souffrir pour “réussir” : le sevrage bien mené se fait en douceur et avec accompagnement.
A retenir
Arrêter un anxiolytique n’est pas seulement “stopper un médicament”. C’est retrouver un équilibre intérieur, reconstruire la confiance en soi et réapprendre à réguler ses émotions sans aide chimique.
Le processus doit être médicalement encadré, mais aussi psychologiquement accompagné.
La psychothérapie aide à donner du sens à cette étape, à transformer l’inconfort en apprentissage, et à retrouver la maîtrise de son apaisement.
L’arrêt des anxiolytiques n’est pas une perte : c’est un retour à l’autonomie, souvent un premier pas vers une santé plus stable, plus consciente, plus durable.
Références
- ANSM. Bon usage des benzodiazépines, 2025 https://ansm.sante.fr/dossiers-thematiques/bon-usage-des-benzodiazepines
- HAS, Benzodiazépines : programmer l’arrêt dès la prescription , 2019 : https://www.has-sante.fr/jcms/pprd_2974495/fr/benzodiazepines-programmer-l-arret-des-la-prescription
- Sante.gouv.fr. Le bon usage des benzodiazépines par les professionnels de santé, 2022 : https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/medicaments/professionnels-de-sante/bon-usage-par-les-professionnels/article/le-bon-usage-des-benzodiazepines-par-les-professionnels-de-sante
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