C’est un sujet qu’on aborde peu, voire pas du tout. Pourtant, la parentification est un phénomène bien plus répandu qu’on ne le pense. La parentification ? Quand l’enfant, pour une raison ou une autre, se retrouve à prendre la place de ses parents. Attention : il ne faut confondre avec l’acquisition de l’autonomie (apprendre à faire la vaisselle ou ranger sa chambre). On parle ici d’autre chose. Exemple typique de parentification : une sœur aînée qui s’occupe de ses frères ainsi que des tâches ménagères. Louable et courageux, pense-t-on de prime abord. Sauf que les choses sont beaucoup plus complexes, et surtout risquées. Car la parentification s’avère lourde de conséquences en termes de bien-être physique et mental pour l’enfant qui en est victime, et cela sur le long terme.

Les différentes formes de parentification

Nombre de spécialistes en sciences sociales et en santé mentale se sont penchés sur le phénomène, observant et documentant comment les enfants peuvent être amenés à assumer des responsabilités parentales. Des psychologues du développement comme Diana Baumrind et Mary Ainsworth, des théoriciens de la famille comme Murray Bowen et Salvador Minuchin… tous ont commencé par questionner la manière dont se traduit la parentification. En voici plusieurs visages.

  • L’enfant peut être chargé de tâches ménagères normalement réservées aux adultes, telles que les courses, la préparation des repas, le nettoyage de la maison, l’entretien du linge.
  • Il prend soin de ses frères et sœurs plus jeunes, en les nourrissant, en les habillant, en les aidant avec leurs devoirs, en les consolant lorsqu’ils sont tristes ou malades, en les surveillant lors de leurs activités.
  • Il s’occupe d’un parent malade, assumant ainsi le rôle de soignant au quotidien. Pour information, parmi les 9 millions de personnes aidantes recensées en France en 2023, on dénombre environ un demi-million de mineurs. 368000 apportent une aide morale, 308000 une aide à la vie quotidienne.
  • Quand les parents ne maîtrisent pas la langue locale, l’usage d’internet ou ont des difficultés avec les tâches administratives, l’enfant peut être chargé de traduire ou de gérer les documents et les rendez-vous.
  • Dans certaines situations, il est obligé de contribuer financièrement au foyer en travaillant à un jeune âge pour subvenir aux besoins de la famille ; c’est le cas pour 152 millions de mineurs dans le monde, soit 1 enfant sur 10.
  • On parle également de parentification quand l’enfant devient le confident de ses parents, ces derniers lui confiant leurs problèmes, leurs inquiétudes et leurs frustrations pour obtenir un soutien émotionnel, du réconfort, des conseils, inversant ainsi le rôle traditionnel.
  • Lorsque les parents sont divorcés ou en conflit, l’enfant peut être amené à choisir un camp ou à servir d’intermédiaire émotionnel, absorbant ainsi des tensions et des responsabilités qui dépassent son niveau de maturité.
  • L’enfant ainsi parentifié peut se sentir obligé de protéger ses parents, que ce soit en les défendant lors de conflits familiaux, en cachant leurs problèmes à l’extérieur, ou en essayant de résoudre leurs difficultés.

Précoce et souvent excessive, la parentification intervient quand les parents sont eux-mêmes dans l’incapacité d’assurer cette charge, à cause de problèmes de santé physique ou mentale, d’une surcharge de travail, de conflits familiaux, de violences domestiques. Cependant, certaines cultures, certains modèles familiaux considèrent comme une norme d’imposer aux enfants de prendre soin de leurs parents ou de leurs frères et sœurs plus jeunes. Certains enfants, naturellement plus sensibles, empathiques ou responsables, se sentent tenus de prendre soin des autres ou de résoudre les problèmes familiaux, ils s’avèrent alors particulièrement vulnérables à la parentification.

Les effets de la parentification

Variant en fonction du climat et des problématiques familiales, la parentification va forcément avoir un impact significatif sur le développement émotionnel, social et psychologique de l’enfant concerné, compromettant ainsi sa capacité à développer des relations saines avec ses pairs et ses parents. On note plusieurs effets néfastes.

  • Un épuisement accru.
  • Un stress émotionnel et une anxiété significatifs.
  • Une charge physique et mentale importante doublée d’un sentiment de culpabilité et de honte quand on ne peut répondre aux attentes parentales.
  • Une chute conséquente des résultats scolaires par manque de temps et d’énergie pour étudier.
  • Des activités de loisirs réduites, voire inexistantes, d’où un isolement progressif qui va impacter le développement social.
  • Des difficultés à établir et maintenir des relations saines avec les pairs et les adultes.
  • Une estime de soi altérée liée au sentiment d’être incapable de répondre aux attentes des autres.
  • Un risque accru de reproduire des schémas de comportement dysfonctionnels.

Ces effets vont perdurer à l’âge adulte, voire s’intensifier : manque de confiance en soi, difficultés relationnelles et professionnelles, relations toxiques, incapacité à poser des limites, à exprimer ses besoins, à prendre soin de soi, anxiété chronique, problèmes de santé physique liés au stress, impossibilité de se détendre et de lâcher prise, comportements à risques (drogue, alcool, jeu, suralimentation), dépression, tentatives de suicide.

Comment traiter les effets de la parentification ?

Voilà pourquoi il est primordial de reconnaître et de traiter la parentification afin de :

  • fournir à l’enfant le soutien nécessaire pour surmonter les défis et restaurer un équilibre sain dans sa vie familiale et son développement personnel.
  • apporter de l’aide aux parents pour rétablir un environnement harmonieux et respectueux de l’enfant.
  • aider l’adulte qu’est devenu cet enfant parentifié à lutter contre les dommages subis antérieurement.

Cela implique un soutien thérapeutique avec un psychologue qui interviendra en offrant un espace sûr et bienveillant où le patient pourra exprimer son vécu et ses ressentis en toute liberté et sans subir de jugement. Une fois ces émotions validées, il faudra explorer les schémas de pensée, les mécanismes et les croyances héritées de la parentification, identifier les pensées automatiques, les distorsions cognitives tout en interrogeant les dynamiques familiales en cause. En travaillant sur les limites et valeurs personnelles, on pourra construire des stratégies d’adaptation et renforcer la confiance en soi, l’affirmation de soi.

Dans certains cas, la thérapie familiale peut aussi s’avérer bénéfique pour aider à améliorer les relations et à rétablir des limites saines entre les membres de la famille. Quoi qu’il en soit, le patient parentifié, qu’il soit enfant ou adulte, devra travailler avec un professionnel de santé pour guérir des blessures émotionnelles associées à cette expérience et développer les compétences nécessaires afin de mener une vie équilibrée et épanouissante.

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