« Tu n’as qu’à lui dire non ! » : la grande phrase est lâchée, une évidence aux yeux du monde, quand on subit un abus de quelque sorte que ce soit. Facile de dire non. Ah bon ? Si c’était le cas, nous aurions bien moins de problèmes à gérer. En pratique, dire « non » peut s’avérer compliqué pour ne pas dire effrayant et cela pour de nombreuses raisons. Des raisons souvent enracinées dans des facteurs psychologiques, émotionnels, culturels et sociaux, ce qui explique la difficulté de passer à l’acte et l’épuisement psychique consécutif à ce combat intérieur. De quoi s’agit-il exactement ? Pourquoi a-t-on autant de mal à dire non ? En quoi cela constitue-t-il un danger ? Comment changer la donne ?

Dire non : pourquoi ça coince ?

« Dire non », c’est un peu comme « il faut lâcher prise« . Aisé à écrire sur le papier, à conseiller dans un article. Mais quand on en arrive à la mise en application, ça coince irrémédiablement. Je l’ai vu à longueur de thérapie : si « dire non » fait partie des étapes d’affirmation de soi, les blocages sont légion.

  • Beaucoup de patients craignent que dire « non » entraîne le rejet ou la désapprobation des autres. Ils redoutent que l’interlocuteur se sente blessé, offensé ou qu’il ne les aime plus s’ils refusent une demande. Or le désir d’être aimé, apprécié et accepté est un besoin humain fondamental. Dire « oui » est souvent perçu comme un moyen de maintenir ou de renforcer les relations ; dire « non » peut les mettre en péril.
  • On peut se sentir coupable de dire « non », surtout si on pense que cela va causer des difficultés ou des déceptions à l’interlocuteur. On a l’impression de ne pas être suffisamment gentil, généreux ou compatissant. Et le fait de dire non peut enclencher un sentiment de doute après coup, un questionnement sur ce choix. Pour éviter ce sentiment désagréable, on préfère dire « oui » dès le départ.
  • Dans de nombreuses cultures, les individus, en particulier les femmes, sont souvent socialisés dès leur plus jeune âge à être accommodants, serviables et à éviter les conflits. Dire « non » peut donc être perçu comme allant à l’encontre de ces valeurs inculquées. Dire « oui » est une habitude, un automatisme, surtout si on a passé une grande partie de sa vie à faire plaisir aux autres. Cette habitude peut être difficile à briser, même lorsque dire « oui » n’est pas dans son intérêt.
  • Dire « non » peut parfois mener à un conflit ou à une confrontation, ce qui est une situation que de nombreuses personnes préfèrent éviter, par crainte des tensions, des malentendus, ou même d’une rupture dans la relation. Elles redoutent d’impacter le bonheur et le bien-être des autres. Elles peuvent avoir l’impression que dire « non » les rendrait responsables des difficultés que l’autre pourrait rencontrer (ce quon appelle dans le jargon psychologique une « surestimation du conflit » ).
  • Les personnes qui ont du mal à s’affirmer peuvent avoir du mal à dire « non ». Elles peuvent avoir une faible estime de soi ou ne pas croire que leurs besoins et désirs sont aussi importants que ceux des autres. Il leur est difficile de dire « non » parce qu’elles n’ont pas clairement défini leurs propres priorités, limites ou besoins. Sans une vision claire de ce qui leur importe, elles peuvent avoir du mal à refuser les demandes des autres.

Des conséquences significatives sur la santé mentale

On pourrait en rester là, me direz-vous. Lâcher l’affaire : « Elle/il ne sait pas dire non ? Tant pis pour elle/lui ». Pas bien grave, au final ? En êtes-vous si sûr.e ? Car à la longue, ne pas dire non peut s’avérer extrêmement usant, avec des conséquences significatives sur la santé mentale. Mais encore ?

  • Lorsqu’une personne accepte constamment des demandes ou des engagements supplémentaires, cela peut mener à une surcharge de travail et à un manque de temps pour se reposer ou s’occuper de soi. Ce stress chronique peut, à long terme, affaiblir le système immunitaire, augmenter la pression artérielle, et provoquer des troubles du sommeil.
  • L’incapacité à dire « non » peut conduire à un épuisement émotionnel et physique, souvent appelé burnout. Cela survient lorsque les exigences dépassent les ressources disponibles, et le sentiment d’être constamment sollicité sans pouvoir se ressourcer devient accablant.
  • Lorsque quelqu’un ne sait pas dire « non », il peut avoir l’impression que ses besoins et ses désirs sont constamment relégués au second plan. Cela peut éroder l’estime de soi, car la personne peut commencer à croire que ses propres besoins ne sont pas importants ou qu’elle ne mérite pas de prendre soin de ses propres intérêts.
  • Une personne qui ne dit jamais « non » peut développer une dépendance à l’approbation des autres pour se sentir valorisée, ce qui renforce un cycle d’insécurité et de faible estime de soi.
  • Accepter constamment des choses que l’on préférerait refuser peut engendrer du ressentiment envers les autres et envers soi-même. Cette frustration peut mener à des sentiments d’amertume et de colère non exprimés, qui peuvent affecter les relations et la santé mentale générale.
  • La peur de dire « non » peut être associée à une anxiété accrue, car la personne peut craindre de ne pas être à la hauteur des attentes ou de décevoir les autres. Cette anxiété, alimentée par la surcharge de responsabilités, augmente la sensation d’être submergé.e et peut devenir paralysante, interférer avec la capacité à fonctionner normalement.
  • L’accumulation de stress liée à l’incapacité de dire « non » peut entraîner des ruminations, où la personne repense sans cesse à ses engagements ou à ce qu’elle aurait dû faire différemment. Cela va immanquablement perturber le sommeil, entraînant de l’insomnie ou des troubles du sommeil.
  • Lorsqu’une personne ne dit jamais « non », elle peut se retrouver dans des relations où elle se sent exploitée ou non respectée. Cela peut entraîner des relations déséquilibrées voire toxiques où ses propres besoins sont négligés, ce qui peut causer de la frustration, une instabilité affective ou un risque d’emprise.
  • L’incapacité à exprimer clairement ses propres besoins et limites peut mener à des malentendus et à une communication inefficace dans les relations, contribuant à un sentiment de déconnexion et d’isolement.
  • Le stress chronique, l’épuisement, et la perte de contrôle sur sa vie peuvent, à long terme, mener à des symptômes dépressifs. La personne peut se sentir coincée dans une routine d’auto-sacrifice, perdant de vue ses propres intérêts et son bonheur. En négligeant constamment ses propres besoins pour répondre à ceux des autres, elle peut finir par se sentir vide ou sans but, ce qui peut exacerber ou déclencher des épisodes dépressifs.


Les signaux d’alarme

Le tableau est évocateur, n’est-ce pas ? Dire oui à longueur de journée, surtout quand on pense non, c’est jouer avec le feu. Apprendre à dire « non » devient cependant impératif dans plusieurs situations, en particulier lorsque votre bien-être, votre santé mentale, ou votre qualité de vie sont en jeu. Certains signaux doivent vous servir de sonnette d’alarme.

Lorsque votre santé mentale ou physique est compromise

  • Si vous vous sentez constamment épuisé.e, stressé.e ou surmené.e, c’est un signe clair qu’il est temps de dire « non » à des engagements ou des responsabilités supplémentaires. Rappelons-le, le burnout, l’anxiété chronique, et la dépression peuvent découler d’une surcharge prolongée due à l’incapacité de refuser des demandes.
  • Quand vous manquez de temps pour vous reposer ou prendre soin de vous, il devient impératif de dire « non » pour éviter l’épuisement physique ou émotionnel.

Lorsque vos relations s’avèrent déséquilibrées

  • Si vous sentez que certaines personnes dans votre vie profitent de votre gentillesse ou de votre incapacité à dire « non », il est crucial de commencer à poser des limites pour protéger votre intégrité et votre bien-être.
  • Dans des relations où vous donnez beaucoup plus que ce que vous recevez en retour, il devient nécessaire de dire « non » pour rétablir un équilibre sain.

Lorsque vos priorités personnelles sont négativement impactées

  • Si vous passez tellement de temps à répondre aux besoins des autres que vous négligez vos propres objectifs ou passions, il est impératif de dire « non » pour vous recentrer sur ce qui est important pour vous.
  • Lorsque vos engagements envers les autres vous laissent peu ou pas de temps pour vous-même, il devient essentiel de dire « non » pour préserver un espace pour vos propres activités et loisirs.

Lorsque vous ressentez de laculpabilité ou du ressentiment

  • Si vous commencez à ressentir du ressentiment envers les autres pour des demandes que vous auriez préféré refuser, c’est un signal clair qu’il est temps d’apprendre à dire « non » pour éviter d’endommager vos relations.
  • Si vous dites « oui » par culpabilité ou par peur, plutôt que par un véritable désir d’aider, il devient crucial d’apprendre à dire « non » pour agir de manière plus authentique et respectueuse de vous-même.

Lorsque votre équilibre travail/vie personnelle est compromis

  • Si votre travail empiète sur votre vie personnelle au point de perturber votre équilibre général, il est impératif de dire « non » à des tâches ou projets supplémentaires.
  • Si votre incapacité à dire « non » au travail ou à d’autres obligations affecte vos relations familiales ou sociales, il devient crucial de poser des limites pour préserver ces aspects essentiels de votre vie.

Lorsque vous violez vos propres valeurs ou principes

  • Si on vous demande de faire quelque chose qui va à l’encontre de vos valeurs ou principes, il devient impératif de dire « non » pour rester fidèle à vous-même et préserver votre intégrité morale.
  • Lorsque vous ressentez une pression pour agir contre vos convictions, dire « non » est essentiel pour protéger votre identité et votre éthique personnelle.

Lorsque vous perdez votre identité

  • Si vous commencez à ressentir que vos actions et engagements ne vous représentent plus, et que vous vous éloignez de qui vous êtes vraiment, il devient impératif de dire « non » pour regagner le contrôle sur votre vie.
  • Lorsque vous ne trouvez plus de sens ou de satisfaction dans ce que vous faites parce que vous avez dit « oui » trop souvent, c’est un signe qu’il est temps de dire « non » pour redéfinir votre parcours.

Dans ces différents contextes, dire « non » s’avère un acte de protection de soi, de respect de ses limites, et de préservation de sa santé mentale et physique. C’est aussi une étape essentielle pour vivre de manière authentique et alignée avec vos véritables aspirations et besoins.

Dire non, cela s’apprend

Assurément, c’est tellement logique. Seulement voilà : pour toutes les raisons évoquées précédemment et dont la plupart des patients ont d’ailleurs conscience, « dire non » demeure un obstacle, une barrière infranchissable. Bien sûr qu’il faudrait le faire, bien sûr qu’il faudrait enfin s’affirmer. Bien sûr qu’il faudrait agir en urgence avant d’y laisser sa peau, mentalement et physiquement. Seulement, à chaque fois qu’on se dit « j’y vais, je lui dis non », ça bloque. À ce stade, il ne faut plus rester seul. Il faut se faire accompagner. Car « dire non » cela s’apprend, surtout quand les rares exemples auxquels on a pu assister ont terminé dans l’affrontement. C’est là qu’intervient le psychologue. Ce dernier va vous épauler dans cette initiation, en mettant en perspective les bénéfices de la chose. Il va notamment vous aider à :

Comprendre pourquoi vous n’arrivez pas à dire non

Il va vous aider à identifier les croyances limitantes ou les peurs sous-jacentes qui vous empêchent de dire « non » : peur du rejet, culpabilité, croyances erronées sur la valeur personnelle et les relations. Il va également explorer les schémas répétitifs, identifier le pourquoi du comment du dire oui à tout bout de champ y compris quand c’est nuisible.

Établir des limites claires

Il faut par ailleurs aider le patient à établir clairement ses limites personnelles et à les communiquer de manière efficace. Dire non, ce n’est pas être méchant et égoïste. Cela n’a rien à voir. Il va donc falloir mesurer ce qui est acceptable ou non dans les relations personnelles et professionnelles. Par des exercices pratiques, on guide le patient dans l’application de ces limites dans des situations concrètes, on lui permet d’explorer la frontière entre altruisme et « self-care »

Modifier les pensées et les croyances

Cela implique par exemple de déstructurer les croyances. La restructuration cognitive va permettre de travailler sur les schémas de pensée négatifs et de les remplacer par des visions plus équilibrées et positives concernant l’affirmation de soi et les interactions sociales. La TCC va aider à identifier et à modifier les pensées irrationnelles qui poussent la personne à dire « oui ». Par exemple, changer la croyance que « dire non signifie que je suis égoïste » en « dire non est un acte de respect de soi et des autres ».

Développer l’affirmation de soi

Le psychologue va partager des techniques d’affirmation de soi : expression claire et respectueuse de ses besoins, utilisation de la communication non violente, pratique de réponses assertives dans des situations fictives ou réelles. Il peut par exemple utiliser des jeux de rôles pour vous permettre de pratiquer le « dire non » dans un environnement sûr et contrôlé. Cela aide à construire la confiance nécessaire pour appliquer ces compétences dans la vie quotidienne.

Renforcer l’estime de soi

Par d’affirmation de soi sans renforcement de l’estime de soi. Cela implique d’encourager la reconnaissance et la valorisation des besoins propres et des désirs du patient, en lui montrant qu’ils sont tout aussi importants que ceux des autres. En l’aidant à reconnaître et à célébrer les moments où il a réussi à dire « non », le psychologue renforce la confiance en soi et l’estime personnelle.

Gérer des réactions des autres

Il convient aussi d’apprendre à faire face aux réactions potentielles des autres lorsqu’on commence à dire « non », comment gérer les critiques, la manipulation ou la culpabilité imposée par les autres. Eh oui, « dire non » ne va pas forcément plaire à tout le monde. il va falloir l’accepter, l’intégrer. En apprenant à accepter que certaines personnes puissent ne pas réagir positivement, le patient développe une résilience qui lui permet de maintenir ses limites sans se sentir coupable ou anxieuse.

Gérer ses émotions et son stress

On se doute que revenir ainsi sur des réflexes ancrés de longue date ne va pas se faire en un claquement de doigt ni dans la quiétude. Il va falloir apprendre à identifier les émotions liées au « dire non », puis savoir comment les gérer de même que le stress qui en découle : respiration profonde, méditation, pleine conscience, les outils pour réduire l’anxiété liée à l’idée de dire « non » ne manquent guère, encore faut-il les connaître et les pratiquer régulièrement.

Être patient

Comme je l’écrivais précédemment, on ne va pas effacer des années de « dire oui » en un coup de baguette magique. Il va falloir du temps, du temps, de la patience, du soutien. De la volonté également. L’entrée dans le monde du « dire non » est effrayante, frustrante, douloureuse et culpabilisante. Il faut y progresser doucement, réajuster son approche. Mais le jeu en vaut la chandelle. Car, au final, c’est de son propre épanouissement qu’il s’agit, épanouissement qui ne va pas à l’encontre d’autrui, mais dans le sens d’une harmonie commune.

Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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