Eh oui : la pratique du sport peut parfois tourner à l’addiction. Difficile à concevoir dans une société qui vante le bien-être et promeut tout ce qui peut apporter un équilibre physique et mental, tout ce qui participe de l’hygiène de vie, du bien-être. Pourtant, entre 10 et 15 % des sportifs amateurs et professionnels souffriraient de bigorexie. D’où vient ce terme ? Que désigne-t-il ? Quelles sont les causes, les symptômes, les risques de la bigorexie ? Comment s’en débarrasser ? Voici quelques éléments de réponse.

L’obsession de l’exercice physique

On l’appelle également « sportorexie », « sportoolisme », « hyperexercice », »exercice dépendance » : la bigorexie et ses autres appellations désignent un trouble psychologique caractérisé par l’obsession de l’exercice physique et de la perfection corporelle. Le terme « bigorexie » combine l’adjectif anglais « big », « grand » et le suffixe « -orexie » qui désigne la soif de grandeur. Cette condition se traduit par un besoin compulsif de faire de l’exercice, souvent à des niveaux excessifs, dans le but d’atteindre et/ou de maintenir un certain type de physique, généralement associé à des normes de beauté ou de performance extrêmement élevées.

Ce concept a émergé dans le domaine de la psychologie et de la santé mentale grâce au psychiatre américain William Glasser qui identifie ce trouble durant les années 70, dans le cadre de ses recherches sur la théorie du contrôle. Reconnue comme une maladie par l’OMS en 2011, la bigorexie toucherait actuellement environ 15 % des sportifs, particulièrement dans les domaines de l’endurance (cyclisme, VTT, course à pied) et du culturisme ou du fitness. Des sportifs célèbres comme le footballeur Bixente Lizarazu ou l’influenceur Tibo in shape ont avoué en souffrir. Mais il n’y a pas que les adultes qui sont concernés. Les adolescents en sont aussi victimes, surtout depuis la pandémie : pour échapper au stress, beaucoup de jeunes se sont réfugiés dans la pratique intensive d’un sport.

Qu’est-ce qui déclenche la bigorexie ?

Si la maladie est reconnue comme telle, on peine à avoir des statistiques précises sur le sexe des personnes atteintes, leur âge, leur origine sociale. On a cependant identifié plusieurs facteurs spécifiques qui contribuent à déclencher la bigorexie :

  • Les pressions sociales : Ce n’est guère une surprise. Les normes de beauté et de forme physique idéalisées par la société moderne créent une véritable pression sur certains profils qui vont tout faire pour atteindre ces idéaux. La tout-puissance des réseaux sociaux, l’avènement des influenceurs spécialisés dans la pratique de différents sports, le bombardement de contenus (photos et vidéos) contribuent à générer un véritable manque qui va encourager la pratique assidue d’une routine d’exercice très vite éffrénée.
  • L’estime de soi : Les individus ayant une faible estime d’eux-mêmes, insatisfaits de leur image corporelle s’avèrent plus enclins à développer la bigorexie, car ils utilisent l’exercice comme moyen de se sentir mieux dans leur peau en façonnant leur corps selon les standards de beauté.
  • Les troubles de l’alimentation : La bigorexie se double éventuellement de troubles de l’alimentation tels que l’anorexie ou la boulimie ; l’exercice excessif est ainsi utilisé pour compenser les calories consommées, pour contrôler le poids. On peut aussi adopter des régimes spécifiques afin de valoriser la masse musculaire, de rester maigre, de ne manger que des produits sains, ce qui débouche sur des anorexies type inversées, athlétiques. « Selon l’IFAC (Institut fédératif des addictions comportementales), 13,5 % [des sportifs] sont touchés par des troubles du comportement alimentaire (3,1 % pour les non sportifs) » explique un article du site Ablock.
  • Les trouble obsessionnel-compulsif (TOC) : Dans certains cas, la bigorexie peut être liée à des tendances obsessionnelles-compulsives ; l’exercice devient une obsession ou une compulsion.

Ces différents facteurs peuvent se superposer, interagir, prendre racine dans un terrain déjà anxieux, chez un individu mal dans sa peau, qui n’accepte pas son corps, se sent jugé. Cela peut toucher des adolescents en pleine mutation, des adultes qui se trouvent trop gros ou pas assez musclés, des seniors qui veulent rester « jeunes ». Le processus se met progressivement en place, mais très rapidement, on peut se retrouver « accro ».

Bigorexie : risques et symptômes

Pratiquer un sport et aimer cela n’est pas un problème en soi. Être un sportif de haut niveau, en faire sa carrière, non plus. La chose devient problématique quand elle tourne à l’idée fixe. Les risques sont nombreux, physiques et mentaux ; ils comprennent :

  • Les atteintes physiques (problèmes musculaires, articulaires, cardiaques), les troubles du sommeil, la fatigue intense et chronique, les troubles alimentaires.
  • Le déséquilibre de la chimie du cerveau impactée par le dérèglement de la production de dopamine et d’endorphine, l’hormone de la récompense, consécutive à la pratique assidue d’un sport.
  • La dépression et l’anxiété, les difficultés relationnelles.
  • L’instabilité financière, tout l’argent passant dans la pratique de l’activité physique à outrance.

Quant aux symptômes de la bigorexie, ils incluent :

  • Une obsession constante pour l’exercice et la forme physique qui peut tourner à la hantise.
  • Un sentiment d’anxiété, de culpabilité, de détresse ainsi que de l’irritabilité lorsque l’individu manque une séance d’entraînement.
  • Un emploi du temps qui tourne exclusivement ou presque autour de la pratique d’une ou de plusieurs activités physiques.
  • La négligence progressive des autres aspects de la vie, y compris des relations, du travail ou des responsabilités, en raison de la priorité accordée à l’exercice, négligence qui peut déboucher sur de l’isolement social.
  • Des comportements alimentaires restrictifs et/ou une obsession de la nutrition qui touche aux troubles de l’alimentation type orthorexie.
  • Une insatisfaction corporelle persistante, même lorsque l’individu est en bonne santé ou a atteint des objectifs de forme physique.
  • Des blessures fréquentes dues à une surcharge d’exercice.

Comment sortir de la bigorexie ?

Pour sortir de la bigorexie, il va falloir suivre différentes étapes :

  • Reconnaître le problème : Il importe d’identifier le problème, d’admettre que le comportement a des conséquences négatives en matière de santé.
  • Consulter un professionnel de la santé pour déceler d’éventuels troubles de l’alimentation et de l’exercice, évaluer la gravité de l’état physique, élaborer un traitement approprié.
  • Modérer la pratique sportive : Il faut réduire progressivement la fréquence et l’intensité des entraînements. Là aussi, le conseil d’un médecin s’era’avère précieux.
  • Travailler sur l’estime de soi : La bigorexie est souvent liée à des problèmes d’estime de soi et d’image corporelle. Travailler ces deux points aide à réduire l’obsession de l’exercice.
  • Apprendre à manger de manière équilibrée : Une éducation nutritionnelle s’impose afin de capter les signaux de son corps et d’en tenir compte. Consulter un nutritionniste va permettre d’élaborer un plan alimentaire sain et adapté aux besoins du patient.
  • Éviter les déclencheurs : Pour ce faire, il faut identifier ce qui a engendré l’obsession pour le sport, et essayer d’éviter ces situations autant que possible.
  • Être patient : La guérison de la bigorexie peut prendre du temps, on ne s’en débarrasse pas sur un claquement de doigts. Il va falloir de la régularité, de la volonté, suivre différentes étapes.
  • En parler : informer des personnes de confiance, des amis, des membres de la famille. Le soutien social peut jouer un rôle important dans le process de rétablissement.

Le psychologue face à la bigorexie

Difficile de surmonter la bigorexie seul.e, dans une société où on prône la pratique du sport comme un facteur de santé, le manque d’activité comme une menace, voire une paresse. Qui imaginerait alors que faire du sport en intensif puisse constituer un péril et une addiction ? Il est donc essentiel d’être épaulé par un psychologue. Ce dernier va aider le patient de différentes manières pour :

  • comprendre les racines du comportement obsessionnel ;
  • identifier les facteurs déclencheurs et les conséquences sur la vie quotidienne ;
  • proposer des stratégies adaptées pour le gérer de manière plus saine.

Thérapie cognitivo-comportementale (TCC), thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), thérapie de groupe, les outils ne manquent guère qui permettent de comprendre la mécanique perverse de la bigorexie, renforcer l’estime de soi sans détruire son corps, se concentrer sur d’autres aspects de son identité et de ses talents, retrouver petit à petit un équilibre dans sa vie.

La démarche est longue, demande un suivi régulier, une approche personnalisée. N’oubliez jamais que la bigorexie est un trouble sérieux qui peut avoir des conséquences graves sur la santé physique et mentale. Si vous souffrez de ce trouble ou quelqu’un que vous connaissez, il est crucial de chercher de l’aide dès que possible pour entamer le processus de rétablissement.

Cet article vous interpelle ? Vous êtes concerné.e ? Un de vos proches ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.

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