Burn-out, épuisement professionnel, surmenage… ce n’est pas la première fois que j’évoque la question du surtravail dans ce blog. C’est que ce phénomène est omniprésent dans notre société, avec des conséquences terribles en termes de santé physique et mentale, conséquences que j’aborde également régulièrement dans mes articles. Mais l’autre jour, la réflexion d’une patiente m’a interpelé : « Pourquoi ? » Pourquoi tolérons-nous ce surtravail ? Pourquoi nous plier à ces cadences infernales ? Ce n’est pas simplement une question de mauvaise organisation ou de gestion des tâches. Le surtravail peut avoir des racines beaucoup plus complexes, plus tortueuses. Des raisons qu’il faut interroger, confronter, conscientiser. Explications.
Surtravail en théorie
Une petite définition, histoire de rafraîchir la mémoire de mes lecteurs assidus, et d’édifier les internautes candides qui passeraient pour la première sur ce blog ? Le surtravail, également appelé surmenage, désigne le fait de travailler plus d’heures que ce qui est considéré comme normal ou sain (ou indiqué sur le contrat de travail), souvent au détriment du bien-être personnel.
Cette notion est apparue au XIXe siècle, avec la Révolution industrielle, lorsque les conditions de travail dans les usines sont devenues extrêmement exigeantes. Elle s’est construite et étoffée progressivement :
- Karl Marx a été l’un des premiers à analyser en profondeur le concept de « surplus de travail », mettant en lumière l’exploitation des travailleurs et la création de plus-value.
- Plus tard, en 1936, le physiologiste Hans Selye a introduit le concept de stress avec sa théorie du « syndrome général d’adaptation », ce qui a permis de mieux comprendre les effets physiologiques et psychologiques du surtravail.
- Avec l’essor de la technologie et la mondialisation à la fin du XXe siècle, les discussions sur le surtravail se sont intensifiées, soulignant l’impact négatif de la fusion des frontières entre vie professionnelle et personnelle.
- La reconnaissance du burn-out comme syndrome lié au travail par l’Organisation mondiale de la Santé en 2019 a marqué une étape cruciale, officialisant les graves conséquences du surtravail sur la santé mentale et physique des individus.
Surtravail en pratique
Ok mais concrètement ? Le surtravail, c’est quoi ? Cela prend quelle forme ? Citons quelques exemples pour éclairer notre lanterne commune.
- Le consultant en management qui travaille 70 à 80 heures par semaine pour respecter les délais de projets multiples, qui voyage fréquemment, ce qui réduit le temps passé avec la famille et augmente son état de stress ? Cas typique de surtravail.
- L’ingénieur en technologie de l’information qui opère tard le soir et les week-ends pour résoudre des problèmes techniques urgents, est connecté par courriel et téléphone, ne prenant jamais de véritable pause ? En situation de surtravail.
- L’analyste financier d’une banque d’investissement qui passe 70 heures par semaine pour boucler des transactions importantes, avec des pics de pression lors des clôtures trimestrielles ? En état de surtravail.
- L’entrepreneur en phase de lancement de son activité, obligé de gérer toutes les facettes de son business naissant, soumis à des rythmes frôlant les 80 heures ou plus par semaine sans possibilité de congés ? En surtravail.
- L’écrivain passant des journées entières à rédiger pour tenir la dead line fixée par son éditeur, avec en prime une exigence de qualité et de précision ? Surtravail.
- L’infirmière qui accumule les gardes plusieurs fois par semaine en raison de la pénurie de personnel, et qui supporte la charge émotionnelle et physique liée à la prise en charge de ses patients ? Surtravail également.
- L’étudiant en médecine soumis à des périodes de révision intensive, combinées à des stages en hôpital, accumulant souvent plus de 60 heures de travail par semaine, qui néglige ses besoins de sommeil et de détente pour maximiser le temps d’étude ? Surtravail encore.
- Le professeur qui passe de nombreuses heures en dehors des cours à préparer les leçons, corriger des copies, répondre aux e-mails des étudiants, qui voit sa charge de travail doubler en période d’examen ? Idem
- Le parent cumulant activité à mi-temps ou en freelance et gestion du foyer, des enfants, éventuellement d’un proche malade ? Surtravail.
Vous vous êtes reconnu.e dans un de ces cas ? Ce n’est pas un hasard, je l’ai un peu fait exprès. Pour vous prouver que le surtravail est partout, bien caché mais omniprésent : non seulement il peut se manifester dans divers secteurs et situations de la vie quotidienne, mais en prime, il avance masqué, et il est difficile de lui échapper.
Surtravail et culture d’entreprise
Pourquoi ? Pourquoi accepter ? Se soumettre à pareil rythme ? Les raisons ne manquent guère.
- Les exigences élevées de certains emplois, la pression des supérieurs hiérarchiques, certaines méthodes de management peuvent pousser les individus à travailler au-delà de leurs limites.
- Dans des environnements économiques incertains où chômage et licenciements sont monnaie courante, les travailleurs peuvent craindre de perdre leur emploi s’ils ne montrent pas un dévouement exceptionnel.
- Les heures supplémentaires représentent une source de revenu conséquente pour certains salariés, les incitant à accepter le surmenage pour arrondir des fins de mois largement impactées par la crise économique.
- Beaucoup pensent que le surtravail est nécessaire pour obtenir des promotions, des augmentations salariales ou une reconnaissance professionnelle.
La culture d’entreprise va d’ailleurs dans ce sens : valoriser et récompenser le surtravail instaure une norme que les employés se sentent obligés de suivre. La digitalisation du monde du travail accroît ce sentiment en floutant les limites entre activité professionnelle et vie personnelle, rendant le surmenage plus fréquent. Dans ces environnements hautement compétitifs, automatisés et où l’information va si vite, les travailleurs peuvent se sentir en concurrence les uns avec les autres, poussant chacun à travailler plus pour se démarquer.
Surtravail : quid de l’inconscient ?
Cette banalisation du surtravail sur fond de valorisation de l’excellence et de la compétitivité est d’autant plus favorisée qu’elle s’enracine sur un terreau très fertile : celui de notre inconscient.
Dans certaines cultures, le surtravail est ainsi valorisé et perçu comme un signe de dévouement et de réussite, ce qui peut influencer les comportements. Les individus ayant une tendance perfectionniste visent à dépasser constamment les attentes pour se sentir compétents et accomplis ; pour certaines personnes, la réussite professionnelle est intimement liée à leur estime de soi. Elles peuvent donc accepter le surtravail pour se sentir valorisées et importantes.
L’éducation et les messages transmis pendant l’enfance modèlent fortement notre perception du travail, encourageant ce type de comportement. Dans de nombreux foyers, l’idée que la vie est dure et nécessite un effort constant est profondément ancrée. Ainsi, les enfants de parents ouvriers peuvent être élevés avec la conviction que le travail acharné est une nécessité absolue. À l’âge adulte, cette mentalité peut conduire à une survalorisation du travail, même lorsque le succès est atteint.
Et puis, le surtravail peut également servir de mécanisme d’évasion face à des problèmes personnels. Les personnes qui rencontrent des difficultés dans leur vie privée peuvent se plonger dans leur travail pour éviter de faire face à leurs angoisses. Le perfectionnisme exacerbe souvent cette tendance : la peur du jugement, le besoin de validation constante mènent à un investissement excessif dans les tâches professionnelles.
L’étape clé de l’identification
Stress chronique, anxiété, épuisement professionnel, troubles du sommeil et de l’humeur… je ne reviendrai pas sur les effets néfastes du surtravail en ce qui concerne la santé mentale et l’état physique. Mais je tiens à souligner un point à mes yeux crucial : contrairement aux idées reçues, travailler excessivement ne garantit pas une meilleure performance. En fait, l’épuisement diminue la productivité et empêche de saisir de nouvelles opportunités.
Un équilibre sain entre vie professionnelle et personnelle est essentiel pour un épanouissement durable et une performance optimale. Or, pour (re)créer cet équilibre, il importe avant tout d’interroger sa relation au travail, et pourquoi on accepte de se soumettre à des cadences proprement infernales… alors qu’on n’en a pas forcément besoin. Pour ne plus sombrer dans le surtravail, il faut donc identifier, analyser et démonter les causes sous-jacentes qui nous conduisent à en accepter la logique.
Celles-ci, nous venons de le voir, sont parfois bien plus profondes et complexes qu’une contrainte financière et économique. Schémas familiaux, croyances sociétales, c’est tout un ensemble de postures qu’il faut décrypter pour ensuite élaborer les stratégies idoines afin de sortir de cette perception faussée aux retombées souvent gravissimes. Sans cette étape clé de l’identification, trouver une juste mesure sera délicat pour ne pas dire impossible ; à terme, le surtravail et sa logique délétère reprendront leurs droits. Et le cercle vicieux de l’épuisement professionnel recommencera.
Cet article vous interpelle ? Vous vous retrouvez dans ces lignes ? N’hésitez pas à me contacter pour en discuter.