Abordons ce jour une délicate question dont la plupart d’entre vous, je pense, n’a même pas conscience et c’est bien dommage car c’est selon moi le socle même du succès d’une thérapie. J’ai nommé le parcours de soin en santé mentale.
Comprendre ce qu’est un parcours de soin
Avant de nous lancer, une petite présentation s’impose, histoire de clarifier la perception de chacun.e. Concept utilisé dans le domaine de la santé, le parcours de soin décrit le cheminement suivi par un patient depuis le début de sa prise en charge médicale jusqu’à la fin de son traitement. Il a pour objectif de garantir une continuité des soins en assurant une coordination efficace des différents acteurs de la santé. Ce qui implique plusieurs étapes :
- La prévention, c’est-à-dire les actions visant à prévenir les maladies et à promouvoir la santé (campagnes de vaccination, examens de dépistage, conseils en matière de mode de vie sain, etc).
- Le premier contact avec les soins : on ressent des symptômes, on prend généralement contact avec un professionnel de la santé comme un médecin généraliste ; ce dernier prend en charge et oriente éventuellement le patient vers d’autres spécialistes.
- Après le premier contact, il faut établir un diagnostic via des examens qui permettent d’identifier la cause des symptômes. À partir de là, on met en place un traitement (médicaments, interventions chirurgicales, thérapies…).
- Le suivi médical permet aux différents professionnels de santé de monitorer régulièrement l’évolution du patient, d’apporter des ajustements dans le traitement.
- Après le traitement initial, certains patients peuvent nécessiter des soins de réadaptation ou des soins continus (séances de kinésithérapie, suivi psychologique…)
- Certains problèmes de santé nécessitent un suivi à long terme pour surveiller la progression de la maladie ou pour prévenir les rechutes. Cela peut inclure des consultations régulières avec des spécialistes, des tests de suivi, etc.
- Le parcours de soin prend fin lorsque le patient a récupéré complètement, que la maladie est sous contrôle, ou dans le cas où les soins ne peuvent plus apporter d’amélioration significative.
“Il m’a donné ça et m’a dit que ça irait mieux”.
Et cela vaut aussi pour les troubles mentaux, la gestion de la santé mentale. Seulement voilà, c’est loin d’être toujours le cas, comme je le constate au quotidien dans ma pratique. Ainsi, nombre de mes nouveaux patients débarquent en consultation un peu par hasard, déjà bourrés de médicaments type anxiolytiques ou antidépresseurs prescrits par un médecin souvent contacté via internet lors un rendez-vous en urgence par visioconférence pour les soulager. Louable certes, jusqu’au moment où le patient me confie : “il m’a donné ça et m’a dit que ça irait mieux”. Point barre. Sauf que ça ne va pas mieux. Et là, immanquablement, je pense tomber de mon siège. Pour deux raisons.
Problème 1 : ce genre de médocs prescrits à la va-vite peut s’avérer un sparadrap sur une jambe de bois.
- C’est une solution à court terme qui permet par exemple de soulager momentanément les signes de l’anxiété, mais certainement pas d’en traiter les racines profondes.
- Filer ce genre de traitement n’est pas forcément adapté et peut sur le long terme s’avérer contre-productif, par exemple quand il s’agit de décrocher des anxiolytiques qu’on absorbe depuis un ou deux ans alors qu’il ne faudrait en prendre que pendant quelques mois au plus, ou qu’il faut gérer les effets secondaires des antidépresseurs (certains peuvent avoir un effet sur le système hépatique par exemple et en prendre sur le long terme sans suivi médical peut s’avérer risqué).
Problème 2 : Aujourd’hui, la population est gavée de psychotropes dans des proportions inquiétantes. Et là mon sport favori : je dégaine les statistiques (vous savez que j’adore les statistiques).
- En 2021, avec la pandémie, les prescriptions ont explosé si l’on en croit le site Vidal.fr qui annonce une hausse de 23% des primodélivrances pour les antidépresseurs, 15,2% pour les anxiolytiques, 26,4% pour les hypnotiques.
- Une résultante de l’effet covid ? Que nenni. Selon une infographie publiée par Statista.com, déjà en 2019, avant la pandémie donc, on comptait en France 4 243 200 consommateurs d’antidépresseurs, 4 107 500 consommateurs d’anxiolytiques.
- En 2014, un rapport publié sur le site Santepubliquefrance.fr évoquait des chiffres alarmants : “16 millions de personnes parmi les 11-75 ans ont déjà pris des médicaments psychotropes en France. Les plus consommés sont les anxiolytiques, devant les hypnotiques et les antidépresseurs.”
- Nos petits sont aussi concernés : selon Radio France, la consommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de 48% entre 2014 et 2021 pour les antipsychotiques et de 62% pour les antidépresseurs.
La logique du parcours de soins en santé mentale
Bref, recours massif à la pharmacopée qu’on gobe en mode Smarties comme une panacée. Dans de nombreux cas, c’est nécessaire et un véritable soulagement pour des patients qui en ont profondément besoin. Mais la chose intervient trop souvent dans un parcours de soins pour le moins morcelé et déséquilibré, sans suivi ni recours aux spécialistes. Or le parcours de soin en santé mentale suppose lui aussi un ordre, une logique.
- Phase 1 : le parcours de soin en santé mentale devrait débuter chez le médecin traitant. Ce dernier doit alors évaluer les symptômes du patient, faire le point sur sa situation, éventuellement pratiquer certains examens pour écarter une potentielle pathologie physique. Par exemple, on sait que parmi les symptômes du trouble anxieux, il y a les palpitations cardiaques. Le médecin pourra ordonner des examens pour vérifier qu’il n’y a pas de souci au niveau du cœur et de la tension.
- Phase 2 : le médecin traitant devrait envoyer son patient consulter un psychiatre. Le psychiatre est à même de poser un diagnostic précis en matière de santé mentale, par exemple, il saura diagnostiquer un trouble anxieux, une dépression, un trouble bipolaire, c’est son travail, sa formation, sa spécialité. Il saura aussi déterminer un protocole de soins et éventuellement orienter le patient vers un psychologue.
- Phase 3 : le patient consulte un psychologue. Ce dernier va prendre en compte les éléments précédemment évoqués ainsi que les demandes du patient (par exemple développer des outils pour gérer les crises d’angoisse). Il va ensuite lui proposer une thérapie adaptée (TCC, thérapie de couple…). Il va aussi évaluer au fil de la thérapie si cette dernière convient au patient, si ce n’est pas trop dur ou exigeant pour lui. Il pourra alors le renvoyer vers le psychiatre pour envisager un traitement médicamenteux, antidépresseurs, anxiolytiques ou autres (précision : le psychologue ne peut pas prescrire de médicaments, n’étant pas médecin). Il peut aussi faire conseiller au patient de faire intervenir d’autres spécialistes : un nutritionniste pour l’aider à gérer ses troubles alimentaires ou un syndrome de l’intestin irritable (qui peut accentuer l’anxiété), un addictologue, un psychologue spécialisé en maladie chronique, un ostéopathe pour neutraliser les névralgies consécutives à un burnout, un expert de l’hypnose ou de l’EMDR, un sophrologue, un coach de vie, par exemple un coach sportif pour épauler une personne souffrant de bigorexie. Il peut aussi l’orienter vers un autre psychologue s’il sent que le traitement s’essouffle, que le patient est en train d’entrer dans une nouvelle phase de son évolution.
La triste réalité
Petits enseignements à retirer de ce parcours de soin en santé mental idéal :
- Le psychologue, en principe, n’intervient qu’en bout de course, dans le sillage du médecin généraliste, des médecins spécialisés, du psychiatre. Il complète leur regard, en a besoin pour intervenir au plus juste.
- Le top du top serait qu’il travaille main dans la main et en échange perpétuel avec tous ces professionnels de santé pour que le patient soit pleinement accompagné, dans un cheminement harmonieux. C’est du moins mon point de vue.
Pourquoi alors n’est-ce pas le cas ? Pourquoi est-ce que le parcours de soins idéal n’est pas respecté ? Plusieurs raisons :
- Nos médecins généralistes, débordés, n’ont pas le temps de se former. Ils parent au plus pressé avec les moyens du bord, plaçant leurs patients sous traitement sans les orienter ensuite vers les professionnels de santé mentale car, reconnaissons-le, les troubles de la santé mentale sont encore mal reconnus, passés sous silence.
- Les psychiatres comme les structures spécialisées sont surchargés, les délais pour obtenir un premier rendez-vous sont très longs, les patients démunis face à cette solitude.
- Le public est encore très ignorant de ces réalités et des ressources à disposition, on commence à peine à évoquer ouvertement la question de la santé mentale, et remercions du reste les stars, acteurs, chanteurs, artistes et sportifs qui font leur coming-out en la matière, car elles font beaucoup pour la sensibilisation de la population.
- En cette période de crise économique, les budgets consacrés aux soins s’amenuisent, on retarde les examens à faire par manque de moyens. Le traitement de la santé mentale n’est pas une priorité, mal remboursé par la sécurité sociale et les mutuelles. On gère donc la chose avec quelques cachets parce que cela coûte moins cher que d’entamer un parcours de soin long et parfois onéreux.
Pour résumer la situation, citons cet extrait d’un article de Radio France concernant la santé mentale des jeunes : “La HCFEA dénonce un « effet ciseau » entre cette augmentation vertigineuse de la consommation de médicaments et la baisse de l’offre de soin en France. « L’offre pédiatrique, pédopsychiatrique et médicosociale est en recul et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables les enfants et les familles », note le rapport. Les délais d’attente pour une prise en charge varient ainsi entre 6 et 18 mois. Faute de spécialistes, la majorité des consultations de l’enfant est donc réalisée par un médecin généraliste”.
Le problème est qu’en santé physique comme en santé mentale, un parcours de soin incomplet s’avère à un moment ou un autre un échec, débouchant sur une rechute, voire une aggravation de l’état du patient. D’où l’importance d’informer, de sensibiliser, de faire cohésion pour épauler les patients au mieux.